SEPTEMBRE 2017

Ukraine : le plan américain pour l’Europe

par Jean GOYCHMAN


Il y a un peu plus de deux ans, j’avais relaté comment le Département d’État américain avait « organisé » la révolution ukrainienne1 en relatant une conversation téléphonique entre Victoria Nuland et l’ambassadeur américain en poste à Kiev. Comme par hasard, certaines personnes citées dans la conversation se sont retrouvées dans le nouveau gouvernement ukrainien.

Il y a un an, Georges Friedmann, à l’occasion d’une réunion du « Chicago Council2 »

a très clairement affiché les orientations à court et moyen terme de la politique étrangère américaine en matière européenne3.

Et Georges Friedman n’est pas n’importe qui. Il enseigne depuis plus de 20 ans les sciences politiques au Dickinson College, université américaine de réputation mondiale en matière d’enseignement. Il est également le fondateur et l’actuel dirigeant de la société Stratfor, société spécialisée dans le renseignement et la prospective géopolitique. A ce titre, il est influent auprès du SHAPE (Quartier Général des Forces Alliées en Europe), de l’US Army War College et de la RAND Corporation. Bref, quelqu’un qui sait de quoi il parle.

Et que nous dit-il, ce cher homme ? Et bien il nous explique que la vocation des États-Unis d’Amérique est de dominer le monde, ce qui ne nous surprend pas trop, et il nous donne la perspective de l’action qui est menée dans ce but en Europe. Il reprend par ailleurs d’une autre façon le propos d’Henry Kissinger « l’Europe, quel numéro de téléphone ? » exprimant ainsi que pour la sphère politique des États-Unis, l’Europe n’existait pas en tant qu’entité. A rapprocher de l’exclamation de Victoria Nuland « Fuck the Europe » qu’elle n’a jamais démenti avoir prononcé, même si elle a présenté ses excuses pour la forme, mais pas pour le fond.

Puis il continue en nous expliquant qu’il y aura probablement de nouvelles guerres entre les États européens parce qu’il ne voyait pas comment on pourrait les éviter et que cela coûterait de nombreuses vies humaines. Il évacue assez vite cette sombre perspective pour revenir à la domination américaine qui est, selon lui, d’ores et déjà acquise du fait que la marine américaine contrôle tous les océans de la planète, et que c’est une situation sans précédent dans l’histoire de l’Humanité Il complète son inventaire en évoquant la suprématie dans le domaine spatial, histoire de nous faire comprendre que les dés sont définitivement joués. Il aurait pu également ajouter cette « arme de destruction massive » qu’est le dollar, mais ne mélangeons pas tout…

Revenons à notre Europe, où plutôt à la leur. Georges Friedman nous donne un éclairage quelque peu différent de celui qui nous est traditionnellement fourni par les médias, relais de la diplomatie. Les Américains ont un problème récurrent qui remonte quasiment à Bismarck avec l’Allemagne et la Russie. Ils sont convaincus, d’après Georges Friedman, qu’une coopération économique entre ces deux pays serait à même de menacer leur propre supériorité. Leur objectif est donc de l’empêcher par tous les moyens qui sont à leur disposition. Leur stratégie est donc de créer une sorte de bande « neutre » qui s’étendrait de la mer Baltique au Nord à la mer Noire au Sud. Cela permettrait d’isoler par une barrière infranchissable la Russie de l’Allemagne, interdisant ou du moins rendant extrêmement difficiles les échanges entre les deux pays. La principale question qui se pose alors aux stratèges américains est : Que vont faire les Russes et les Allemands placés en face d’une telle situation 

En premier chef, que va faire la Russie avec l’Ukraine ? Vont-ils créer une « zone tampon » avec l’Ukraine, qui resterait au minimum neutre, ou bien vont-ils laisser les occidentaux s’installer à 100 km de Stalingrad et 500 km de Moscou ?

Friedman pense que le statut de l’Ukraine présente une menace pour la Russie, et que cela soulève une question pour les Américains : Où s’arrêteront-ils ?

Il justifie ainsi le pré-positionnement des troupes du Général Hodges en Roumanie, Bulgarie et Pologne, donc de la mer Noire à la Baltique, non sans ajouter que Hodges portera ainsi le chapeau. Ainsi, les évènements d’Ukraine n’auraient été que le prétexte pour justifier un tel positionnement.

La seconde question concerne les Allemands : Que vont-ils faire ? Cela semble être la principale interrogation du conférencier, qui n’hésite pas à dire que « la véritable inconnue dans l’équation européenne, ce sont les Allemands » La position de l’Allemagne est assez « ambiguë » car Gerhard Schröder, ancien chancelier, est membre du Conseil d’Administration de Gazprom et ils ont des relations étroites et ancestrales avec la Russie.

La question est complexe et, pour la résumer, Friedman se demande quel sera le tropisme Allemand le plus fort ? Préfèrerons-t-ils les Occidentaux ou bien les Russes ? S’ils perdent la zone de libre-échange Euro Atlantique, ils devront construire quelque chose d’autre.

C’est cela que redoutent le plus les Américains, et depuis des siècles, nous dit-il. L’alliance entre la technologie et le capital Allemand avec les ressources et la main d’œuvre Russe semble être la seule combinaison qui les effraie réellement.

Il conclue ensuite son discours en insistant sur cette inconnue que représente la position allemande en disant que celui qui connaît la réponse « connaît l’histoire des vingt prochaines années »

Des soldats américains défilent dans Kiev pour la première fois en ce 24 août 2017

Alors, bien sûr, les sceptiques resteront dans leur scepticisme. Mais au-delà du rejet ou de l’acceptation en bloc de cette vision qui nous concerne directement, que peut-on tirer de cette analyse ?

Certes, la parole de Georges Friedman n’engage que lui-même. Cependant, son entreprise, Stratfor, bien que de droit privé est souvent considérée comme une « CIA occulte » et ne vit que sur les crédits d’État. Elle peut parfaitement être amenée, sur commande, à jouer un rôle d’information ou de désinformation. Compte-tenu du contexte de cette réunion de Chicago, je pencherais plutôt pour la première hypothèse. Mais le plus intéressant est quand même cette continuité dans la vision qu’a de l’Union Européenne la classe dirigeante américaine. Il est clair que, pour eux, cette union n’existe pas que tout ce qui a été fait depuis plusieurs décennies n’avait comme unique objectif que de réaliser la zone de libre-échange euro-atlantique. Friedman occulte d’ailleurs complètement le côté « vassalisé » de cette Europe, comme si c’était une évidente conséquence de la 2ème guerre mondiale.

Encore une fois, de Gaulle a eu raison de tenter de bâtir une « Europe des Nations » avec l’Allemagne comme moteur économique et la France comme garante de son indépendance. Les Allemands n’ont pas voulu, préférant la soumission à l’Amérique, on verra bien ce qu’ils vont faire maintenant….


J.G.


1 Voir le lien : http://www.gilbertcollard.fr/blog-2/le-bal-masque-de-lukraine/


2 Le « Chicago Council » est une section du CFR (Council for Foreign Relations ) qui est une sorte de « Think Tank » qui réfléchit sue la politique étrangère des USA. Fondé en 1921, il est issu de l’ « American Round Table » elle-même fondée en 1861. Le CFR est notamment à l’origine de la SDN à laquelle les États-Unis n’ont jamais adhéré. Son implication est permanente et il regroupe environ 5000 personnes.

Le lien suivant : http://fr.wikipedia.org/wiki/Council_on_Foreign_Relations/ décrit d’une manière assez précise les actions et les orientations du CFR


3 Lien : https://www.youtube.com/watch?v=u1a0FD6iiek/


Jean Goychman 27/04/15

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