AVRIL 2015

Visite de Mme Anne-Laure BONNEL et M. Alexandre BONNARDIEU

Le 11 mars 2015 Madame Anne-Laure BONNEL (scénariste, auteur, metteur en scène, enseignante à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne et à l’INA/ENS Cachan) et Monsieur Alexandre BONNARDIEU (Président du Fonds de bienfaisance « SOS Humain ») ont visité l’Université Nationale Technique de Donetsk. Le bût de ce visite a prévu le tournage des scènes documentaires pour le film concernant les événements tragiques en Donbass.

Madame Anne-Laure BONNEL a souligné quelques fois qu’elle fait les films documentaires et pas les films journalistiques qui généralement peuvent gauchir l’information en dépendance de telle ou telle politique de la rédaction. Justement de telle information véridique sur Donbass manque actuellement en Europe.

À cause de la déroute des habitants de notre région, surtout des enfants, Monsieur Alexandre BONNARDIEU, directeur d’une société BTP en France, est venu en Donbass pour fournir l’aide humanitaire et médicale mais aussi pour reconstruire des maisons détruites par les bombardements de l’armée ukrainienne. Sous les bombardements Alexandre héroïquement sauvait les habitants de notre ville.

Le 13 mars Madame Anne-Laure BONNEL et Monsieur Alexandre BONNARDIEU ont été invités au concours des vidéos « J’aime l’UNTD ». Après le concours dans l’atmosphère amicale on a eu la possibilité de communiquer avec les invités de France.


Madame Anne-Laure BONNEL a aimablement accepté de répondre à quelques nos questions.


SF : - Vous êtes enseignante de cinématographie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et à 

l'INA jumelé à l'École Normale Supérieure de Cachan et vous avez décidé de réaliser un film concernant les événements en Donbass. Pourquoi ?

Mme Anne-Laure BONNEL : - L'opinion publique française reçoit quotidiennement une information "officielle" des événements qui se déroulent depuis la révolution de février 2014. Beaucoup de gens comprennent en filigrane que derrière cet affrontement se cache un antagonisme plus ancien hérité de la guerre froide opposant les Etats-Unis et la Russie. Suite à une discussion avec certaines connaissances, j'ai pu prendre la mesure de l'ampleur de la désinformation entourant le récit fait de cette guerre.

En soit, rien de neuf, mais nous vivons actuellement - et en temps réel - des faits relatés de manière totalement différente selon que l'on se place de tel ou tel côté de la frontière. Et au-delà, ce qui frappe le plus, c'est la manière dont les médias occidentaux transforme la réalité. Avec l'équipe de tournage, nous avons donc voulu comprendre ce qu'il se passait réellement, sur le terrain, à l'est de l'Ukraine.

Les médias nous ont parlé d'une opération "anti-terroriste" et nous avons constaté une fois sur place une guerre civile, une région totalement anéantie, un blocus économique, une situation alarmante très éloignée de la description floue et partielle délivrée sur nos ondes nationales et internationales.

Nous avons pris depuis un certain conscience que nos démocraties sont capables de torturer, d’emprisonner sans juger, d’humilier gratuitement, de qualifier hâtivement de terroriste l'ennemi. Le recul que nous apporte la distanciation des faits nous permet d'appréhender l'étendue de ce relativisme politique et militaire.

Parler de ce qu'il passe à l'heure actuelle dans la région du Donbass, c'est interroger en temps réel la guerre, les bombardements, les meurtres de civils, sans attendre d'avoir le recul pour comprendre trop tardivement.

 

SF : - Parlez de vous s’il vous plaît.

Mme Anne-Laure BONNEL : - Je suis à la fois scénariste, auteur, metteur en scène, enseignante, responsable d'atelier écriture, créatrice d'interactivité digitale et conseillère en développement de projets artistiques et de contenu de scénario.

J'enseigne la conception de projets audiovisuels et digitaux à l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne et à l’INA/ENS Cachan.

J'ai débuté ma carrière comme directrice artistique d'installations artistiques pour des expositions au Musée de l'Homme à Paris et à la Fondation EDF Electra. J'ai également développé et co-scénarisé le long métrage de Shue Aiello Cinéastes et Papillon, film dressant le portrait de huit  jeunes cinéastes chez eux puis tout au long de la création de leur film. Il dresse le portrait croisé de huit hommes et femmes qui ont choisi le cinéma pour créer leur monde et le partager et la réalité sociale et économique à travers un mouvement historique en Guadeloupe, une grève générale d’une ampleur inégalée menée par le Collectif «Lyannaj Kont Pwofitasyon ».

J'intègre Blackmoon Productions en 2011 en tant qu’auteur et conçois les expériences interactives, j'imagine alors de nouvelles narrations éclatées pour le transmédia, tout en me spécialisant dans la création de contenus créés en adéquation avec les spécificités du media et dans les différentes stratégies de storytelling. 

Je poursuis aujourd'hui ma carrière en tant qu'indépendante et travaille actuellement sur de multiples projets documentaires, cinématographiques et expérientiels.


SF : - Quels sont vos principes pendant le tournage des films documentaires ?

Mme Anne-Laure BONNEL : - Le documentaire est en soi une prise de position, un combat. Et je m'identifie depuis toujours à cette posture. Pour cela, il est nécessaire d'observer sans jugement, donner la parole sans rien censurer, capter sans idées préconçues et sans aucun manichéisme. Le spectateur est intelligent, il est donc inutile de vouloir l'amener sur une route qu'il sentira biaisée ou orientée.

Une fois cela posé, il faut aller plus loin. Découdre l'apparente simplicité des faits relatés, faire émerger la complexité, mettre en évidence le cynisme de ceux qui nous gouvernent et qui souvent préside aux décisions qui impactent notre monde, créer une révolte de l'Esprit sans tomber dans le travers caricatural du complotisme. 


SF : - Quels projets cinématographiques vous avez déjà réalisés ?

Mme Anne-Laure BONNEL : - Cinéastes et Papillons, évoqué plus haut. Également un projet d'émission télévisuelle intitulé "Lazarus lève le voile", personnage mystérieux affublé d'un masque, rationaliste anonyme qui démonte croyances et manipulations. Ses analyses fondées sur un "scepticisme scientifique" proposent de démythifier un certain nombre de faits et d'idées fausses répandues auprès de l'opinion publique.

Lazarus est un vrai phénomène sur la toile et a généré un véritable mouvement d'adhésion et de diffusion sur la toile, et ce bien avant les Anonymous, dont il est au demeurant très proche d'un point de vue philosophique.


SF: - Quels problèmes globaux vous inquiètent encore actuellement ?

Mme Anne-Laure BONNEL : - D'abord, la force et le pouvoir de la désinformation, encore et plus que jamais. « A force de tout croire, on oublie de douter » : ce « claim » de Lazarus est - selon moi - plus que jamais le principe essentiel qui doit guider vers la compréhension de notre monde. La liberté commence avec la connaissance, or nous avons écarté le doute cartésien, et ce faisant accepté de croire tout ce que l'on pouvait nous raconter.

L'autre problème qui aujourd'hui la folle négation de l'être humain, le retour à la barbarie. Les bombardements, des tortures, des meurtres collectifs et à l'arrivée leur banalisation sont pour moi le présage de l’avènement d'une ère mue par une violence inouïe, devant laquelle nous serons tôt ou tard totalement désarmés.


SF : - Pour vous, qu’est-ce que c’est une vraie liberté de l’homme ?

Mme Anne-Laure BONNEL : - La vraie liberté de l'homme aujourd'hui est de prendre en main ce qui l'a toujours défini en tant qu'être libre : sa pensée et son libre-arbitre. Et à l'arrivée, agir en conséquence lorsque la vérité éclate et que les mensonges apparaissent derrière le voile des théories officielles et de l'information prédigérée pour lui.


SF : - Êtes-vous encore écrivain ? Parlez-nous de vos œuvres, s’il vous plaît.

Mme Anne-Laure BONNEL : - Je travaille actuellement sur le romain autobiographique d'une femme ayant connu la gloire durant les années 80 et qui voit se profiler la vieillesse, prend enfin conscience du temps qui passe, s'interroge sur les clés d'une vie réussie. Je travaille aussi sur un projet de série pensée autour du thème des secrets de famille, qui se révèlent progressivement durant la réunion des membres d'une famille française le temps d'un week-end.


SF : - Comment vous pourriez décrire Donetsk comme la ville en quelques mots-clés ?

Mme Anne-Laure BONNEL : - Donetsk est aujourd'hui comme suspendue dans le temps. Une ville à la fois victime et combattante, hantée par des explosions aléatoires et injustifiées. Une ville qui malgré tout continue de penser qu'il est encore possible de croire à un avenir meilleur, un avenir dont on l'a dépossédé en l'espace de quelques mois.

J'aurais aimé connaître Donetsk avant tout cela. Mon retour à Paris m'a fait prendre conscience à quel point je n'ai qu'une infime perception de ce qu'a pu être la ville avant ces tragiques événements.


M. Alexandre BONNARDIEU, Mme Anne-Laure BONNEL, M. Alexandre ANOPRIENKO


SF : - Comment vous pourriez décrire Paris comme la ville en quelques mots-clés ?

Mme Anne-Laure BONNEL : - Une ville grise, superficielle, souvent ennuyeuse, mais aussi une ville riche, diverse, paradoxale, inspirante. On déteste l'aimer, on aime la détester. Mais on s'y attache éternellement.


SF : - Pourriez-vous donner quelques conseils professionnels pour nos étudiant débutants dans la réalisation des projets vidéo ?

Mme Anne-Laure BONNEL : - Tout d'abord avoir des convictions ! Artistiques, politiques, culturelles. Ensuite rester fidèles à elles, ne pas se trahir. La technique n'est pas ce qui prime. Ce que l'on retiendra de vous, c'est ce que vous racontez, pas la manière dont vous le faites.

Ensuite, il faut faire le constat que nous sommes arrivés au bout du tunnel : nous avons tout vu, tout regardé, tout avalé. Les pires mensonges, les pires âneries. La télévision est arrivée à un stade ultime de vide et de nullité. Il faut donc mettre de côté les récits nombrilistes, avoir l'ambition de réinventer des histoires neuves, se concentrer sur des réalités alternatives et recréer le rêve dont nous avons toutes et tous besoin.

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