MARS 2017

Conflit en Ukraine : Kiev a intérêt à aggraver la situation

par John LAUGHLAND


Plusieurs médias occidentaux se sont interrogés sur les liens possibles entre la conversation au téléphone entre Donald Trump et Vladimir Poutine le 28 janvier et la nouvelle flambée de violence en Ukraine le 29 janvier, qui a fait une vingtaine de morts.

Le Washington Post, par exemple, ne croit pas qu'il s'agisse d'une coïncidence. La chaîne australienne, ABC, n'y croit pas non plus. Suivant l'exemple donné par la représentante américaine auprès de l'OSCE, Kate Byrnes, ils dénoncent la Russie et les séparatistes pour avoir déclenché le dernier cycle de violence. Selon eux, la Russie profite de la bienveillance, au moins temporaire, du nouveau président américain, pour avancer ses pions en Ukraine.

Des chars à Avdiivka contrôlée par le gouvernement ukrainien © Gleb Garanich Source : Reuters

D'autres ont une autre interprétation des faits. Selon une dépêche de la Süddeutsche Zeitung, les idées sont en train d'évoluer au sein du gouvernement allemand. Non pas dans la tête de Mme Merkel, bien sûr, et non plus dans celle de son ancien ministre des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier. Ces deux dinosaures continuent à accuser la Russie. Mais d'autres – « on » selon le journal qui ne cite pas ses sources – « perçoivent très clairement et avec une inquiétude croissante que non seulement la situation sur la ligne de contact s'est aggravée, mais aussi que c'est la partie ukrainienne qui en porte la plus grande responsabilité ». Pour rendre bien clair l'argument de l'article, le journal l'a intitulé « Le calcul de Kiev ».

D'après ce journal de référence – que sans doute les petits indicateurs de Stratcom, l'officine bruxelloise de contre-propagande, vont bientôt anathématiser comme « pro-Kremlin » – la perception est en train de croître au sein du gouvernement allemand que les forces ukrainiennes cherchent à reprendre du territoire – comme l'a dit d'ailleurs, et avec orgueil, le ministre ukrainien de la Défense – sachant que cela va augmenter les tensions avec les rebelles. La Süddeutsche poursuit sa pensée : « Plusieurs personnes au sein de l'administration allemande soupçonnent que derrière cela se cache un calcul visant à aggraver la situation pour stopper les plans du président Trump d'assouplir les sanctions. D'après la lecture de Berlin, Porochenko veut quasiment « tout faire pour empêcher la fin des sanctions contre la Russie ».

Cette interprétation des faits, qui bien évidemment rejoint la perception russe des choses, s'appuie sur les rapports des observateurs de l'OSCE, qui sont les seules personnes sur place disposant d'informations fiables. 

Selon son rapport du 30 janvier 2017 il y a eu une soixantaine d'« explosions indéterminées » le 30 janvier à Yasynuvata, une position à un kilomètre d'Avdiivka contrôlée par les rebelles – ces explosions étant des lancements d'obus – contre 1 244 « explosions indéterminées » et 1 400 tirs de mitraillette depuis les positions contrôlées par les forces ukrainiennes à Avdiivka. Ce sont des chiffres qui laissent peu de place à l'ambiguïté : les Ukrainiens ont tiré massivement sur les rebelles dans la nuit du 29 au 30 janvier. Le lendemain, l'attaque s'est poursuivie : 2 250 explosions ont été répertoriées le 31 janvier aux positions gouvernementales à Avdiivka contre « 65 à 80 » explosions à Yasynuvata.

Cette nouvelle flambée de violence a confirmé que Kiev n'avait aucune intention d'appliquer les fameux accords de Minsk qui prévoient un règlement politique du conflit, le président Porochenko ayant l'habitude de dénoncer les rebelles du Donbass comme des « terroristes ». Or, employer ce vocabulaire prouve bien qu'il veut abattre les rebelles militairement. Le président ukrainien les présente systématiquement comme des mercenaires à la solde d'une Russie qui aurait agressé l'Ukraine – il les appelle « combattants russes », « rossiiski boïeviki » en ukrainien et ne les considère donc pas comme des citoyens ukrainiens avec lesquels il est obligé de s'entendre. Il présente la situation dans son pays comme le résultat d'une invasion étrangère. Or, une invasion étrangère, on la combat. Les accords de Minsk sont basés sur la présupposition opposée, à savoir qu'il y a une situation de guerre civile en Ukraine que les autorités ukrainiennes sont appelées à régler politiquement.

Indépendamment de la dispute sur l'origine de la violence, il est évident que Kiev a intérêt à aggraver la situation, là où la Russie a intérêt à l'apaiser. L'Ukraine craint de se retrouver oubliée en cas de rapprochement russo-américain. Et loin de montrer une Russie nouvellement agressive, les derniers événements prouvent combien les accords de Minsk, et la situation ukrainienne en général, sont un piège pour Moscou. 

Quand la paix règne en Ukraine – ce qui est le cas, plus ou moins, depuis presque deux ans – l'Occident dit que la Russie est fautive car elle ne respecte pas les accords de Minsk. Quand la guerre éclate, la Russie est toujours coupable et pour la même raison. L'Occident ne reproche jamais à Kiev un quelconque non-respect de ces accords. Certes, la Russie n'a aucun intérêt à un renouveau de l'instabilité en Ukraine. Elle soutient donc Minsk. Mais le conflit la rend otage d'une situation qu'elle ne peut pas contrôler. Même si on accepte la thèse otanienne d'une «influence considérable» des Russes sur les rebelles du Donbass, il est évident que Moscou n'en a absolument aucune sur les forces ukrainiennes.

Le fait que l'Ukraine soit un piège pour la Russie n'est pas nouveau. Dès lors que le conflit a de nouveau éclaté en Ukraine, suite au putsch du 21 février 2014, toutes les éventualités étaient mauvaises pour la Russie. Conflit gelé ou conflit chaud, la Russie est systématiquement déclarée coupable. La situation restera donc figée, aussi longtemps que les dirigeants occidentaux refuseront d'admettre qu'ils ont sciemment collaboré au renversement d'un gouvernement légal en 2014.

Trump a dénoncé avec véhémence la politique intérieure et étrangère de ces prédécesseurs. Mais est-il prêt à dénoncer aussi l'aventure ukrainienne, la dernière d'une longue série de «r évolutions de couleur » téléguidées par ceux qui sont aujourd'hui ses pires ennemis au sein des agences de renseignement à Washington ? S'il le fait, nous aurons assisté, pour une fois, à une vraie révolution.


J.L.

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