FÉVRIER 2017

Le Bataillon colonial sibérien

par Pascal TRAN-HUU


« Le Bataillon colonial sibérien a été constitué, sur ordre du Ministre de la Guerre, le 13 juillet 1918 1» 


C’est ainsi que débute l’aventure de ce bataillon qui fut le dernier à avoir été désengagé des opérations militaires de la Première guerre mondiale. Après la prise du pouvoir par les Bolcheviques en Russie (1917), les troupes restées fidèles au Tsar tentent de rétablir la situation. Parmi celles-ci, un certain nombre de régiments « blancs » combattent les troupes « rouges » en Sibérie.


En mars 1918, le traité de Brest-Litovsk met fin aux hostilités sur le front de l’est entre l’Allemagne et la Russie bolchevique. Les Alliés décident, alors, d’ouvrir un front oriental contre les « rouges » qui viennent de se ranger dans le même camp que les Allemands en cessant de les combattre. Une grosse partie des forces que les Alliés expédient contre les Russes se compose de Tchèques. Avec eux est créée une mission Française, commandée par le général Maurice JANIN2.

Aux ordres du chef de bataillon MALLET, le Bataillon Colonial Sibérien est constitué le 14 juillet 1918. Il se compose de deux compagnies du 16e Régiment d’Infanterie Coloniale basé à Tien-Tsin en Chine, de deux compagnies du 9e Régiment d’Infanterie Coloniale basé à Hanoi et d’une compagnie du 3e Zouaves basé au Tonkin.


Il s’agit au début d’aider à l’évacuation des Tchèques et d’empêcher les Allemands de mettre la main sur le matériel de guerre livré à la Russie avant la révolution d’octobre, qui est entreposé essentiellement dans les ports de l’Arctique (Mourmansk et Arkhangelsk) et du Pacifique (Vladivostok). Mais pour les Français et les Britanniques, cette intervention est aussi l’occasion de tenter de rouvrir un front à l’est contre les puissances centrales. En effet, depuis la paix séparée conclue entre les Russes et l’Allemagne, les troupes germaniques, libérées de ce théâtre d’opération, sont massées en France et tiennent Paris à portée de leurs canons. Un télégramme chiffré adressé le 22 juillet 1918 par le consul américain à Moscou à son homologue d’Omsk laisse entrevoir que les intentions alliées ne se limitent pas à un objectif purement humanitaire : « Vous pouvez faire savoir confidentiellement aux chefs tchèques que jusqu'à nouvel ordre les Alliés seront heureux, d'un point de vue politique, qu'ils se maintiennent dans leurs positions actuelles. D'autre part, ils ne devraient pas s'embarquer devant les exigences militaires de la situation. Il est désirable avant tout, qu'ils s'assurent du contrôle du chemin de fer transsibérien et en second lieu, si cela est possible en même temps, qu'ils conservent le contrôle du territoire qu'ils occupent présentement. Informez les représentants français que le consul général de France approuve ces instructions »


En juillet 1918, donc, les ordres sont donnés pour que les éléments du bataillon se rassemblent à Shanghai (Chine) pour un déploiement ultérieur à Vladivostok. La priorité du transport est donnée à l’état-major du bataillon, une compagnie européenne, une compagnie de tirailleurs annamites et une section de mitrailleuses. Il est prévu que si les Indochinois n’ont pas pu embarqué, c’est les hommes du corps d’occupation de la Chine de Tientsin qui devront faire mouvement faire Vladivostok. 


La 1re compagnie du 9e Régiment d’infanterie colonial à 207 Européens et 21 tirailleurs tonkinois ; la 8e compagnie du même régiment à 208 Européens et 22 tirailleurs tonkinois ; la 1re compagnie du 3e régiment de Zouaves à 309 Européens et 21 tirailleurs tonkinois embarquent à bord du « André Lebon » pour atterrir à Shanghai le 29 juillet 1918. Là, un détachement serbe composé de 2 officiers et 17 hommes. Les compagnies « indochinoises » sont rebaptisées 6e, 7e et 8e compagnies du Bataillon colonial sibérien. Après l’embarquement de la 1re compagnie du 36e régiment d’infanterie colonial, à 202 Européens, et de la 11e compagnie du même régiment à 213 tirailleurs tonkinois et 16 Européens, toute deux issues du Corps d’occupation de la Chine, le Bataillon colonial sibérien est complet. Il est à noter que les deux dernières compagnies deviendront les 5e et 11e compagnie du BCS. Le BCS a un effectif total de 1140 hommes.


L' André Lebon débarquant les troupes coloniales, à Vladivostok en août 1918

Arrivée à Vladivostok le 9 août 1918, le BCS est scindé en deux bataillons de manœuvre distincts. Le premier, est commandé par le capitaine Feuerstein (5eet 8e compagnie, un peloton de la 11e et deux sections de mitrailleuses). Le deuxième est commandé par le capitaine Schill (6e et 7e compagnie, un peloton de la 11e compagnie et deux sections de mitrailleuses). L’ensemble est commandé par le chef de bataillon Mallet. 


Depuis Vladivostok, ils seront déployés en suivant le Transsibérien vers l’Ouest. Appuyé dans les combats par les Tchèques puis les Japonais. Du 14 au 24 août, le BCS a, déjà, 2 morts, 19 blessés et un porté disparu. 


Vladivostok. Résidence de la mission française. 7 mars 1919

Malgré des conditions logistiques difficiles, le commandant Mallet achètera de la farine pour pouvoir nourrir le BCS (page 27 du JMO), continue sa progression. Arrivé à Irkoutsk le 2 novembre, Mallet apprend que trois zouaves du bataillon viennent d’être tués et trois autres blessés, dont le lieutenant Braunstein, dans l’explosion d’un train de munitions tchèque qu’ils escortaient. Seuls cinq wagons sur quarante ont pu être sauvés.


Le 11 novembre 1918, le BCS arrive à Novo-Nikolaïevsk (actuelle Novossibirsk) où un banquet est offert les autorités russes et par l’état-major des troupes polonaises. Le 18 décembre, le BCS est mis à disposition le bataillon reçoit l’ordre de se mettre à disposition de l’armée « blanche » du général Voitzekovski, et se rend à Tchichmi. Malgré les objections du commandant Mallet et de ses adjoints (page 36 du JMO), et devant l’insistance du général russe, la batterie et la troupe s’apprêtent à prendre la route pour Goumérovo (point le plus occidental qu’atteindra le bataillon, à environ 400 km de Kazan) avec 180 traineaux, dont l’un transportera une cuisine. 


Mais le lendemain, 19 décembre, il n’y a que 78 traîneaux disponibles et seul un détachement peut partir. Le froid augmente brutalement jusqu’à – 30°. L’infanterie parvient à destination mais une trentaine d’hommes ont les pieds gelés et doivent être évacués. Quant à l’artillerie, elle chemine avec difficulté, « Les animaux se refusant à faire aucun effort », et elle n’arrivera qu’en pleine nuit, grâce à l’aide de la 6e batterie tchèque venue à son secours.


Le 22 décembre, en appui des troupes russes, le BCS engage le combat avec une section d’artillerie et la 2e compagnie. Mais les « Blancs » reculent dans la panique contraignant l’élément français à se réorganiser pour contenir, seul, les « Rouges » jusqu’à 19h30. 


Les 25 décembre, le BCS reçoit l’ordre de retourner à Oufa et Tchéliabinsk qu’il atteint le 1er janvier 1919 et où ils ont la joie de découvrir un vrai cantonnement. Le bataillon est réorganisé : un détachement est constitué, à destination d’Orenbourg et Ouralsk, « pour montrer aux Cosaques la présence effective des Français plutôt que par des opérations » (page 43 du JMO) et le reste de la troupe constitue une base de dépôt sur place. Dorénavant, le bataillon n’est plus engagé directement. De janvier à juillet 1919, il assure, à partir de Tchéliabinsk, des missions d’escorte des convois d’armement le long de la ligne de chemin de fer, et des missions d’instruction au tir à la mitrailleuse dans diverses localités de l’Oural : à Perm auprès de l’armée sibérienne, à Troïtsk auprès de l’armée russe du sud, à Ekaterinbourg auprès de l’armée russe de l’ouest. Il assure également l’instruction des formations roumaines et polonaises en Sibérie. Pour pallier les pertes et les démobilisations, un détachement de relève de 92 hommes, parti de Kharbin il y a plus d’un mois, arrive en mars, et un autre en juin, de 335 hommes, accompagnant 5 wagons de mitrailleuses Colt ainsi que des vivres et des vêtements.


Le bataillon reçoit, également, pour mission de rechercher, dans toutes les usines de l’Oural, des Alsaciens-Lorrains prisonniers afin de les rapatrier. Ils en trouveront une vingtaine qui seront évacués.


Le 12 juillet, sur ordre du général, une compagnie et une section de mitrailleuses sont envoyées à Ekaterinbourg pour « remédier à la panique qui s’est emparée de la ville à l’approche des Bolcheviks » (page 52 du JMO). La situation s’est en effet dégradée : alors qu’en mars l’armée russe « blanche » avait presque repris Kazan, menaçant réellement le pouvoir des soviets, elle a dû reculer sous la pression des « Rouges ». Ces derniers ont déjà coupé la voie ferrée, à 80 verstes au nord de Tchéliabinsk, et la compagnie doit faire demi-tour.


Le 16 juillet, la situation empire : les communications sont coupées entre les diverses armées « blanches » et la voie du Transsibérien est menacée à l’est de la ville, au niveau de Kourgan. Le BCS se retirera le même jour vers Petropavlovsk puis vers Vladivostok qu’il atteindra le 14 septembre 1919. Le Commandant Mallet laissera son commandement au Capitaine Madaule le 26 novembre 1919.

 

Le 26 janvier 1919, une partie de l’infanterie russe se révolte à Vladivostok, tenant tête à la garnison restée fidèle aux « Blancs ». L’état de siège est à nouveau déclaré et le bataillon colonial sibérien mis en état de défense (page 60 du JMO). Preuve que la situation est plus tendue, le JMO est rédigé à la main et non plus à la machine à écrire…


Le 28 janvier, à 8h du matin, des troupes révolutionnaires pénètrent dans la ville et s’emparent du PC du général Rosanoff.


Selon le journal de marche du bataillon, « quatre coups de canon y suffisent » et « toute l’après-midi, les troupes révolutionnaires rentrent en ville en ordre, bien habillées et équipées », dans le calme. Le général russe va se placer sous la protection du Général Oï commandant les troupes japonaises, tandis que le capitaine Madaule tente de faire évacuer ses hommes par les mêmes Japonais, se heurtant « à une impossibilité absolue ».


Le 14 février, l’état de siège étant levé, le bataillon prend le départ pour Nikolsk, ville du Transsibérien désormais sous gouvernement socialiste local. Celui-ci bloque le train, craignant que les munitions transportées par le bataillon ne tombent aux mains de l’armée Semenov puis le laissent passer. Un peu plus loin, à Prodékova, la scène se renouvelle, cette fois-là, le capitaine Maudaule note que le chef militaire de la gare « marque un profond mépris des Alliés3 .» 


Le 17 février, alors que le train vient de franchir la frontière mongole, un wagon de munitions prend feu à la descente d’une forte rampe ; quelques heures après, un autre wagon surchargé, 21 tonnes au lieu de 12, s’enflamme à son tour, puis un troisième la nuit suivante. Les wagons qui restent ne peuvent suffire et il faut en faire venir d’autres d’une gare voisine. Enfin, le bataillon arrive à Harbin le 20 février. Après plusieurs refus de tracter de la part des services ferroviaires, passés aux soviets, il atteint Moukden, et enfin Tien-Tsin le 4 mars, où il est dissout. Les hommes absents sont reversés au 16e régiment d’infanterie colonial et d’autres réaffectés à la Mission française de Sibérie qui, elle, sera définitivement rapatriée en 1921.


Au cours de cette courte campagne, le BCS sera cité à l’ordre de l’Armée, et de nombreux soldats seront décorés par les Japonais, les Anglais et les Tchèques.


P. T.-H.


1(Journal de Marche Opération du Bataillon, 26 N 868/13 Archives militaires, Château de Vincennes).

2Maurice Janin, né le 19 octobre 1862, décédé le 28 avril 1946, était un général français qui fut chargé de la mission militaire française en Russie durant la Première Guerre mondiale et la guerre civile russe.

3(page 61 du JMO).

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