DÉCEMBRE 2019 -
JANVIER 2020

L’urgence d’électrifier l’Afrique

par Leslie VARENNE


Samuele Furfari, l’auteur du livre : « L’urgence d’électrifier l’Afrique », a été fonctionnaire à la Direction générale de l’énergie de la Commission européenne pendant plus de trente-cinq ans. Autant dire qu’il connaît son sujet et que ses analyses sont étayées par des arguments précis. Mais, il ne faut pas s’y tromper, sous la pondération du haut fonctionnaire et un style un peu académique, se cache une vraie colère : comment est-il possible que l’Afrique soit toujours dans cet état de pauvreté énergétique ? À juste titre, la pauvreté énergétique en Afrique tient une large place dans cet ouvrage, car elle est la clé, la « base matérielle de l’humanité ».
Sans énergie abondante, en particulier l’électricité, il n'y a pas de développement possible, pas de réduction de la pauvreté, pas d’industrie, pas de soins de santé, pas de médicaments, pas d'hôpitaux, etc. Mieux, « il suffirait d'un peu plus d’énergie pour que l'espérance de vie augmente considérablement. » En outre, selon l’auteur, les chercheurs estiment que le taux de croissance annuel du PIB des pays africains serait plus élevé de deux à trois pour cent si seulement ils avaient un accès universel à l'énergie moderne. « Les usines pourraient rester ouvertes plus tard, les enfants pourraient étudier après la tombée du jour, les transports seraient améliorés. Les femmes, dont beaucoup passent 16 à 18 heures par jour à travailler à des tâches ménagères qui comprennent la collecte de biomasse traditionnelle, pourraient s’occuper à des tâches plus utiles tant pour elles que pour la société et générer ainsi des revenus pour leurs familles. »
Samuele Furfari illustre son essai de graphiques et cite de nombreux chiffres, ceux-ci sont édifiants : « plus de 645 millions d’Africains n’ont pas accès à l’électricité et ceux qui ont cette chance n’ont de l’électricité que par intermittence, encore faut-il qu’ils ne tirent pas trop sur la ligne autrement la connexion déclenche. Avec seulement quelque 180 kilowatts-heure (kWh) par an, la consommation d’électricité par habitant en Afrique subsaharienne est la plus faible de tous les continents, loin, très loin derrière les Européens qui en consomment 6 500 kWh/an et encore bien plus loin que les Étasuniens qui utilisent 13 000 kWh/an. »
L’auteur plaide donc pour que l’accès à l’énergie soit LA priorité.

Le piège des solutions vertes

Sauf que l’affaire n’est pas si simple. Sous l’impulsion des ONG environnementales et sous prétexte que l’Afrique ne doit pas commettre les erreurs des pays occidentaux, de la Chine et de l’Inde lorsqu’ils se sont industrialisés, le continent est prié de ne pas se doter des énergies fossiles et/ou nucléaire, mais de faire appel aux énergies renouvelables dites « propres » : solaire, éolien, hydrolienne (1). « Les besoins gigantesques - afin de permettre qu'à peine moins de la moitié de la population ait un accès à l’électricité exigent irrévocablement des solutions de masse et donc forcément celles qui s’appuient sur les énergies fossiles. » Les pays africains doivent-ils payer plus cher le peu d’électricité qu’ils vont produire au prétexte qu’ils doivent eux aussi sauver la Planète ? « Il faut être téméraire pour le penser, démagogue pour le leur recommander, injuste pour le prétendre. »
D’autant qu’en plus, les énergies renouvelables ne fonctionnent pas, l’Union européenne a dépensé des fortunes colossales pour un effet infinitésimal. Selon Lionel Taccoen, un expert français en électricité, cité dans le livre, entre 2004 et 2013, 1 100 milliards de dollars, dont une grande partie financée par l’Union européenne, ont été investis dans le déploiement des énergies renouvelables, alors qu’il aurait suffi de moins de 700 milliards de dollars pour financer l’accès à l’électricité des 1.2 milliards d’êtres humains qui en sont privés.  
Éoliennes en Afrique (Crédits : Reuters)

Pour autant, cette débauche d’argent, faite sous la pression des activistes environnementaux, n’a en rien soulagé la pauvreté énergétique. Le solaire, une éolienne ou une micro turbine peuvent, bien sûr, être utilisés dans des coins reculés de brousse, pour alimenter un éclairage, qui remplacera la lampe tempête, ou un réfrigérateur. Mais ce n’est bien évidement pas avec ces énergies dites « propres » que l’Afrique pourra s’industrialiser et que les habitants de Douala ou de Ouagadougou, par exemple, arrêteront de souffrir des si fréquents et si détestables délestages. Comme les autres pays qui se sont développés, l’Afrique doit pouvoir utiliser les ressources dont elle regorge : pétrole, gaz, charbon et hydraulique, n’en déplaisent aux ONG environnementales.
D’autant que comme le souligne Samuele Furfari, en attendant l’électrification, nombre d’Africains ont recours à la biomasse : bois, charbon de bois, bouse d’animaux pour cuisiner. Cela devrait ravir les écologistes puisque c’est une énergie propre ! Sauf que « selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), le nombre annuel de décès causés par la respiration de la fumée de ces combustibles "naturels" est d'au moins 1,4 million, probablement plus proche de deux millions, c’est-à-dire plus que le paludisme, la tuberculose et le VIH » ! De plus, cette forte dépendance à la biomasse est une des causes majeures de la déforestation de l'Afrique ! Cela devrait faire réfléchir les ONG environnementales, à tout le moins.
Dans ce livre riche et passionnant, l’auteur nous livre également des anecdotes croustillantes sur quelques folies qui montrent combien l’idéologie « verte » fait perdre tous sens commun.
Ainsi, le Club de Rome et l’industrie allemande avaient eu un temps un immense projet, de 500 MW, qui consistait à installer des panneaux solaires dans le Sahara. Grande et belle idée, mais dommage, ils ont réalisé juste à temps, que dans ce désert, il y avait des tempêtes de sables qui pouvaient recouvrir les dits panneaux solaires et les rendre inopérants !  Et que penser de ce directeur de prison brésilien qui pris d’une soudaine conversion à l’écologie a proposé aux détenus de pédaler pour produire de l’électricité, avec remise de peine à la clé. Trois jours de vélo, un jour de geôle en moins !
En signant ce livre, Samuele Furfari fait œuvre utile, il mérite d’être lu, pour retrouver le goût de la science et du bon sens et en finir définitivement avec les fausses certitudes qui maintiennent en état la pauvreté énergétique en Afrique.

L.V.

NOTE

(1) A ne pas confondre, une hydrolienne qui est une petite turbine qui utilise l’énergie des courants des fleuves ou de la mer et l’hydraulique qui nécessite de construire des barrages et des centrales hydroélectriques auxquelles s’opposent les ONG environnementales.

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