SEPTEMBRE 2018

Le refus des USA de la demande de coopération russe en Syrie met en lumière le cynisme américain

par Andrew KORYBKO


Le général Valery Gerasimov, chef d’état-major des forces armées russes, a sollicité l’aide de Joseph Dunford, son homologue américain, pour stabiliser ensemble la situation en Syrie.

Les généraux Joe Dunford (à gauche) et Valery Gerasimov (à droite), à Helsinki, en Finlande, le 8 juin 2018

Reuters a signalé que la proposition de coopération, portant sur le rapatriement de réfugiés ainsi que des projets de reconstruction dans la république arabe, a reçu un « accueil glacial » de la part des décideurs américains. On pouvait s’y attendre, au vu des déclarations précédentes de Washington qui stipulaient que toute aide apportée par les USA aux zones contrôlées par le gouvernement syrien seraient conditionnées par l’exécution préalable de la réforme constitutionnelle décrite par la résolution 2254 du conseil de sécurité de l’ONU et l’organisation de nouvelles élections. Le président Assad avait en outre déclaré fin juin 2018 que son gouvernement n’accepterait aucune aide à la reconstruction de la part de pays qui avaient contribué à la destruction de la Syrie – mais si l’on en croit les fuites quant aux détails du message de Gerasimov à Dunford, la Russie estime que Damas « ne dispose pas de l’équipement, du carburant, d’autres ressources, ni des fonds nécessaires à accepter le retour de réfugiés au pays », ce qui aurait justifié d’en appeler aux USA.
Les espoirs étaient grands de voir les présidents Poutine et Trump parvenir à un accord sur la Syrie à la faveur du sommet d’Helsinki le mois dernier, mais il semble bien que ces attentes soient aujourd’hui anéanties par ce dernier obstacle en date. L’intérêt principal des USA est de centraliser leurs aides à la reconstruction et leurs projets de développements sur l’État par procuration contrôlé par les kurdes au nord-est du pays – zone riche en agriculture et gisements énergétiques – si bien qu’ils y ont déjà déployé pas loin de deux mille soldats ; il relève donc d’une certaine logique qu’ils rejettent la proposition russe. Même si l’on signale que les kurdes d’un côté et Damas de l’autre sont entrés en pourparlers, il est peu probable de les voir déboucher sur une dissolution du protectorat des USA, et l’on verra plus probablement émerger une « formalisation » de son existence, au travers de « compromis » acceptables par les deux parties, qui s’inscriront dans le processus de réforme constitutionnelle en cours.
Les fuites quant à la proposition de Gerasimov à Dunford provenaient probablement des ennemis de Trump dans l’« État profond » américain, dans une tentative désespérée de faire échouer ce qu’ils craignaient être un « accord secret » du soft power » des USA : elles confirment que l’Amérique n’a que bien peu d’intérêt pour le bien-être du peuple syrien ou pour le retour des réfugiés des zones régionales voisines et de plus loin, en totale contradiction avec les déclarations répétées au cours des années passées. Il est profondément machiavélique de faire dépendre des aides humanitaires et des aides au développement de facteurs politiques, même si cela ne constituera pas une surprise aux observateurs comprenant véritablement le cynisme qui préside à tout projet stratégique américain. On peut également y voir la preuve que les USA utilisent indirectement les réfugiés et l’assistance au développement comme des armes, qu’ils utilisent pour progresser vers leurs objectifs, chose que nient tous leurs soutiens mais qui est à présent exposée aux yeux de tous.

A.K.

  1. https://www.reuters.com/article/us-usa-russia-syria-exclusive/exclusive-despite-tensions-russia-seeks-u-s-help-to-rebuild-syria-idUSKBN1KO2JP
  2. https://www.un.org/press/fr/2015/cs12171.doc.htm
  3. https://orientalreview.org/2018/07/23/is-damascus-getting-ready-to-cut-a-deal-with-the-kurds/

Cet article constitue une retranscription partielle de l’émission radio context countown, diffusée sur Sputnik News le vendredi 10 août 2018.

Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015).

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