JUIN - JUILLET 2020

2022 : France cherche De Gaulle désespérément

par Barbara LEFEBVRE


Professeur d’histoire-géographie, Barbara Lefebvre a publié différents ouvrages sur la jeunesse, l’école, la société. Cette hussarde de la République qui refuse de croire que la défaite est inéluctable nous a autorisé de reproduire, dans le cadre de ce dossier spécial « Année De Gaulle », un article publié en juin 2019 dans FIGAROVOX/TRIBUNE, où elle fustige le « carnaval des opportunismes » qui s’érige à l’horizon de 2022.
F.M.

Les résultats des élections européennes ont donné lieu à des surinterprétations voire des extrapolations qui en disent long sur l’état calamiteux de notre vie politique française. Loin d’avoir contribué à sa recomposition pour le bien commun, l’élection d’Emmanuel Macron avec son parti attrape tout en aura accélérée la décomposition actée dès 2002. Que des éditorialistes et des analystes aient essayé de faire croire à l’opinion publique qu’à lui seul, surgi d’un pseudo-néant, Emmanuel Macron avait renversé la table, est une fable largement déconstruite aujourd’hui. Ces mêmes observateurs ne jubilaient-ils pas déjà de voir le Parti socialiste imploser sous l’effet de scissions irréconciliables durant le quinquennat Hollande, ce que les primaires de la gauche, la sécession du ministre Macron, la non-candidature du président sortant, viendront définitivement valider. Ils jubilent devant l’achèvement de la décomposition finale de LR, entamée par le calvaire de la campagne Fillon sous l’œil goguenard de ses « amis » Sarkozy et Juppé, les conflictualités internes sous la présidence Wauquiez et surtout l’impossibilité pour LR de survivre à un parti de gouvernement assumant d’incarner la synthèse des centrismes bourgeois.
Nous tournons en rond.
Voici des décennies que tous les observateurs de notre vie démocratique soulignent la crise que traverse la France. Ses fractures sociales, économiques, culturelles ont fait l’objet de tant de livres, de débats sans fin, que nous en sommes presque tous lassés. En 2019, les médias feignent encore de découvrir des analyses qui ont pourtant été posées il y a vingt ans. Cela illustre la gravité de la crise de la démocratie: nous tournons en rond. Et si tous les dirigeants élus en ont conscience, aucun n’a été véritablement capable de trouver des solutions à ces crises de confiance devenue, au fil du temps, défiance radicale. Élections après élections, déceptions après trahisons, le peuple électeur s’est détaché de la politique. Le premier parti de France est bien celui de l’abstention, celui d’une relation entre le demos et le cratos tellement altérée qu’on peut considérer qu’à un certain degré le demos s’est détaché du cratos et inversement. Dans ce cas, quel pouvoir peut se déclarer légitimement démocratique? Faut-il se contenter de parler à «son électorat» aussi réduit soit-il mais suffisant pour décrocher la queue de Mickey en 2022, ou faut-il tenter d’aller - enfin - chercher les abstentionnistes pour les reconnecter à la politique en leur proposant un projet commun concret, sérieux, applicable, rassembleur, et non en leur racontant un conte pour enfant comme en 2007, en 2012 et en 2017?
Si au cours des trois ans qui viennent, chaque camp - constitué en parti, en mouvement ou en cénacle d’influence - développe un programme visant telle ou telle portion de l’électorat pour s’assurer la victoire, la France repartira dans un nouveau cycle négatif, voire de désespérance qui pourrait conduire à la mort de la démocratie. Et à écouter les uns et les autres ces dernières semaines, la politique des boutiques semble hélas avoir encore de beaux jours devant elle. Depuis les résultats des Européennes et le sauve-qui-peut général au sein de LR, certains boutiquiers politiques (ou idéologues sous-traitants professionnels) commencent à élaborer plans et stratagèmes pour 2022, sautant allégrement par-dessus les Municipales de 2020 et les régionales de 2021, élections locales autrement plus significatives du paysage politique français que les Européennes.
On le voit aujourd’hui, aucun parti, aucun mouvement ne cherche à parler au peuple français dans son ensemble.
Dans quel mur serons-nous encore conduits en 2022, si… Le parti des inclus dans la mondialisation (les anywhere de la théorie politique de David Goodhart), LaRem, ayant absorbé élites socialistes et républicaines, s’occupera de parler seulement aux bourgeoisies de cette «UMPS convergent» comme l’appelait déjà de ses vœux, en mars 2017, le macronien Jean-Pierre Mignard. Grandes bourgeoisies - au pluriel - enfin unies dans le même projet de défense de leurs intérêts de classe, qui s’engagent dans l’acte 2 du quinquennat à se montrer en public moins méprisantes à l’égard de la plèbe.
Les Insoumis, incapables de refaire le coup du populisme souverainiste de gauche de 2017, se contenteront de taper aux portes des derniers gauchistes de plus en plus acquis au délire multiculturaliste voire indigéniste.
La minorité refusant de céder à l’islamo-gauchisme abandonnera le radeau de la mélenchonie ou sera repêchés par le RN. Les bobos écolos se diviseront eux aussi entre «internationalistes» et «localistes» (on ne prononce pas les mots dérivés de nation chez les écologistes puisque notre pays c’est la planète) ; l’écolo des villes rejoindra LaRem, l’écolo des champs fera 2% aux présidentielles. Le RN ne cherchera qu’à asseoir son socle électoral populaire, celui des exclus de la mondialisation (réels ou se vivant comme tels), ces somewhere dont un certain nombre sont enracinés davantage par obligation (chômage, insécurité sociale et économique) que par volonté patriotique.
On le voit aujourd’hui, aucun parti, aucun mouvement ne cherche à parler au peuple français dans son ensemble. Chacun tient sa part de marché, et fait la retape auprès de ses fidèles consommateurs… Malgré les belles déclarations sur «la France périphérique» des Gilets jaunes qu’on ne devrait plus ignorer, la politique des boutiquiers est toujours là.
Personne ne semble capable de penser l’économie autrement qu’en opposant libéralisme et antilibéralisme.
Personne ne semble avoir l’audace intellectuelle de bâtir un socle idéologique qui parle aux anywhere ET aux somewhere, comme s’il était acté que ces deux France étaient irréconciliables. Personne ne semble porter une vision civilisationnelle produisant une synthèse inédite et puissante, d’une part de notre héritage gréco-romain et judéo-chrétien et d’autre part de la pensée laïque et émancipatrice des Lumières et des droits de l’homme. Personne ne semble capable de penser l’économie autrement qu’en opposant libéralisme et antilibéralisme, comme si aucun modèle tiers ne pouvait être inventé ; comme si nous n’avions pas d’autre choix que le capitalisme financier d’une mondialisation prédatrice ou l’étatisme économique le plus obtus et dispendieux. Personne ne paraît capable d’apporter des réponses viables à long terme aux défis posés depuis quatre décennies par l’immigration de masse et ses conséquences politiques, démographiques et culturelles ; on n’a le choix qu’entre un discours lénifiant sur le pasdamalgame et le vivre-ensemble ou a contrario des programmes illusoires et comminatoires de quasi re-émigration forcée qu’aucun esprit sérieux ne peut soutenir.
Qui réussira à redonner confiance aux exclus en leur proposant de rebâtir une nation protectrice du peuple français, tout en ne faisant pas douter les inclus sur la capacité d’une France souveraine à se projeter dans l’économie mondiale? Il y a soixante ans, la France sut trouver le chemin de l’unité démocratique à un moment de son histoire où elle était menacée par des conflits intérieurs d’une violence inouïe, où le régime républicain s’avérait incapable d’unir les Français pour engager un projet de long terme et, dès lors, se décomposait à vue d’œil. Elle confia son destin à un militaire qui était aussi un homme d’État. Il donna à la France de son temps une constitution permettant une République stable pour une nation gouvernable. Il s’appuya souvent sur le demos par l’usage du référendum, et en respecta toujours la décision.

Et si en mai 2022, un autre général, au-dessus des boutiques de partis, s’engageait pour sortir la France de la dépression sévère dans laquelle sa classe politique l’a plongée depuis quarante ans ?

Mais en six décennies, la France a subi des mutations profondes sur le plan économique (les effets de la mondialisation) et démographique (l’immigration de masse), sur le plan politique (l’intégration européenne et la perte de souveraineté qui en a découlé), sur le plan sociétal (le triomphe des intérêts individuels sous l’effet de la marchandisation de la société et ses effets délétères sur le plan de la morale commune). Au niveau de la politique politicienne, la République de 1958 s’est abîmée dans d’interminables querelles partisanes, dans la réforme du quinquennat, dans une bipolarisation artificielle, dans l’avidité et la corruption d’une part de la classe politique et des élites qui en constituent la cour, dans la compétition des opportunistes qui se joue à ciel ouvert avec la révolution de l’information depuis quinze ans.

En décembre 1965, le général de Gaulle fut le premier président de la République élu au suffrage universel. Et si en mai 2022, un autre général, au-dessus des boutiques de partis, s’engageait pour sortir la France de la dépression sévère dans laquelle sa classe politique l’a plongée depuis quarante ans ?

B.L.

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