AVRIL-MAI 2019

Le shadow banking en quelques mots

par Julien LOVATO


Le shadow banking s’est développé de la volonté des banques de contourner les règles prudentielles pour faire plus d’argent.
Ces règles prudentielles (Bâle I) édictent un niveau de fonds propres de 8% par rapport au volume d’engagement.
Ce qui en d’autres termes veut dire que les banques doivent avoir en fonds propres et en réserves 8 % du volume d’argent qu’elles prêtent dans le cadre de leurs activités.
Si elles veulent prêter plus, elles doivent avoir plus en cash dans leurs « coffres » pour couvrir les défauts de paiement éventuels.
Depuis la crise de 2008, ces règles se sont durcies, exigeant un taux de couverture à 10,5 % (Bâle III) afin de palier à ces défauts en cascades de la part des emprunteurs qui leur ferait faire faillite.
Bilan les banques se payant sur les intérêts perçus (des particuliers, des entreprises comme les intérêts et rendements des placements spéculatifs) et étant limitées par ces règles ont tout naturellement choisi de les contourner pour gagner plus.
Comment ? Tout simplement en domiciliant certaines de leurs équipes hors zone juridique (et hors zone fiscale cela va sans dire). 
Ce sont des équipes constituées de collaborateurs des banques, mais domiciliées aux Caïmans, aux Bahamas, au Panama, aux Seychelles, etc. qui peuvent proposer des crédits au-delà des ratios de prudence obligatoires. 
Concrètement comment ça marche. Et bien une banque bien de chez nous ne peut officiellement pas prêter à cause du ratio mais ces sociétés étrangères prennent le relais, et prêtent à tours de bras sans se préoccuper de prudence. 
Ainsi une activité jugée faiblement rentable et à risques (comme quasiment toute activité industrielle) se verra prêter de l’argent depuis mettons les Seychelles. L’entreprise va rembourser le principal (la somme empruntée) à la filiale, ainsi que les intérêts.
Là on joue déjà avec des sommes colossales. Prenons une PME lambda rachetée par un fond de pension, qui lui-même emprunte sur ces marchés hors zone juridique et fiscale, elle emprunte 100 millions et se voit rembourser 150 à 200 millions en 4 ans (avec les intérêts). Ces 150 à 200 millions sortent de son bilan, elle ne paye donc que peu de taxes et aucuns impôts dessus. Ça constitue un manque à gagner pour le trésor public. De plus, ces sommes venant se créditer dans ces filiales étrangères, nos banques dégonflent ainsi leur bilan dans des proportions énormes ce qui fait également baisser mécaniquement leurs résultats et les impôts et taxes qu’elles versent à l’état. 
Maintenant le plus gros du volume de cet argent prêté et non fiscalisé, n’est pas à destination des particuliers, il l’est un peu à destination des entreprises industrielles ou autres classiques ; mais il est surtout prêté afin de spéculer. Des sommes colossales sont prêtées à des filiales jouant sur les marchés, sommes d’autant plus colossales que plus le montant misé sur un marché est gros plus il entraine un effet haussier qui va faire effet boule de neige avec les algorithmes du trading haute fréquence. 
Ainsi si vous misez moins d’un million, cela n’entraîne qu’une légère hausse sur une action particulière mais ne génèrera pas de mouvement haussier de l’action sur lequel vous allez vous payer en vendant au plus haut quelques heures plus tard. Mais si vous misez plusieurs centaines de millions, que vous les faites miser sur un type d’activité via plusieurs filiales, vous déclenchez une détection par les algorithmes des salles de marchés. Ces algorithmes s’emballent en un effet moutonnier…l’action prend quelques % jusqu’à 6 ou 7 % … et vous revendez immédiatement empochant (en cas de mise à 100 millions, vous en récupérez 7) en quelques heures à quelques minutes seulement sans passer par la case impôts et taxes.
Maintenant ce système opaque, nommé shadow banking est là, et comme il existe autant l’employer … et il sert également de lieu de blanchiment et d’optimisation/évasion puisqu’il est domicilié hors zone juridique et fiscale. 
Ainsi vous aurez nombre d’entreprises faisant sortir de leur bilan des produits dont seuls les certificats auront quitté le pays, tandis que les marchandises seront toujours fabriquées en France.
Ces marchandises seront vendues à ces filiales étrangères à prix coutant (Entrainant une baisse du chiffre d’affaire et des taxes et impôts calculs sur ce même chiffre d’affaires), filiales qui quant à elles revendront ces biens sur le marché français en triplant le prix et en évadant la marge. Cette pratique s’appelle les « prix de transfert ». Officiellement interdite, elle n’en demeure pas moins une réalité car il est très difficile de différentier des échanges internationaux classiques de ces procédés comptables dans une économie intégrée avec des nombreuses filiales étrangères d’un même groupe. 
Autre pratique liée au hors bilan (ce que vous sortez de votre bilan tout comme un particulier défraye ses frais kilométriques de ses impôts) ; les frais de conseil, de franchise etc. On voit bon nombre d’entreprises avoir des frais de consultants à 4000€ par jour et plus. Quand l’entreprise fait faire le travail, celui-ci est largement surfacturé, et la facture toujours réglée à des filiales au Delaware et autres paradis fiscaux. Il n’est pas rare pour une PME de 200 personnes d’utiliser dans les 80 à 100 jours par an de ce type de prestations ce qui coute et abaisse de 4 000 000 € alors que les salaires des consultants ne coûtent pas autant, loin de là même s’ils sont payés jusqu’à 10 000€ mensuels. 
À combien se monte ce shadow banking ? A environ le même montant que le PIB mondial. Tout comme autrefois, avant la généralisation des cartes bleues, un artisan et commerçant pouvait escamoter 50 % de son chiffre d’affaires, ce shadow banking c’est 50 % du PIB mondial soient 70 000 milliards. Si l’on prend le poids de l’économie française dans le monde 3,2 à 3,5 % du volume mondial, et qu’on le projette sur ce PIB « gris » on a entre 2240 et 2450 milliards annuel d’argent « gris » non fiscalisé rien que pour l’économie française. Note cette estimation est assez basse puisque 70% de cet argent gris est généré par l’occident… et que plus une banque est grosse et mondialisée, plus elle y a recours… et comme chacun sait le secteur de la banque française comprend des champions internationaux plus que ses voisins espagnols, italiens, grecs. Donc il y a fort à parier que ces sommes soient de l’ordre de 4000 milliards ou plus. 
Plus on tente de réguler l'activité, plus les banques augmentent la part de cette finance de l'ombre, et plus elles font du chantage à l'état en faisant valoir que si elles plongent, c'est l'argent de l'économie réelle et celui des épargnants qui va disparaitre. Bilan elles font ce qu'elles veulent en brandissant le too big to fail. Car si elles meurent, toute l'économie réelle plonge avec elles.
Il manque de l’argent à l’état pour les retraites, pour la santé, pour les armées ? Vous savez maintenant où chercher.
Tout comme dans le film Usual suspect « Tout l’art du diable consiste à faire croire qu’il n’existe pas » … tout l’art des plus nantis et des banquiers est de faire croire que cet argent n’existe pas pour ponctionner le système collectif français, exiger des efforts et un moindre niveau de vie de la part des citoyens et avoir plus d’argent à miser en bourse.

J.L.

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