FÉVRIER - MARS 2021

Délestage électrique, pas grave. Vraiment ?

par Samuel FURFARI


Dans la presse belge, on a lu ces derniers mois des propos qui surprennent les ingénieurs que nous sommes. Certains pensent que la sécurité d’approvisionnement électrique - qui est en fait une sécurité d’alimentation électrique - n’est pas aussi indispensable qu’on ne le dit. Afin d’assurer le développement des énergies éolienne et solaire, qui sont par nature intermittentes, on devrait selon eux se préparer à des délestages d’un ou deux jours. 
Cette forte intermittence est en effet la tare congénitale des énergies éolienne et solaire. Selon les données d’Eurostat pour la Belgique, les taux de charge de l’éolien et du solaire ont été, sur les cinq dernières années, de seulement 23 % et 11 % respectivement. Autrement dit, pendant la très grande majorité du temps, il faudra brûler du gaz naturel pour compenser notre manque structurel de vent et de soleil. Et qu’on ne parle pas de brûler de l’hydrogène : ce gaz n’existe pas à l’état naturel sur terre et l’énergie libérée par sa combustion ne fera que compenser (partiellement) celle nécessaire à sa production ! 
Sous-estimer l’intermittence rédhibitoire des énergies éolienne et solaire est le signe qu’on n’a pas perçu l’importance cruciale que représente la sécurité d’alimentation du réseau électrique. Sans doute ces amateurs de l’énergie n’ont-ils pas pensé à demander l’avis des médecins urgentistes des hôpitaux qui, pendant la crise de la Covid, ont sauvé des vies grâce à la continuité de l’alimentation électrique.

Réunion 2014 de l’Association Européenne des Représentants Territoriaux de l’État à Liège
Notre société numérisée se retrouverait en état de chaos, ne serait-ce que pour quelques heures de black-out. En juin 2014, Michel FORET, alors gouverneur de la province de Liège, avait invité ses collègues européens de l'AERTE pendant trois jours pour discuter du risque qu’entraînerait un black-out électrique pour la protection civile.
J’ai eu le privilège d’intervenir dans ce colloque et j’ai été agréablement surpris d’observer combien les préfets et gouverneurs étaient déjà sensibilisés à cette question. Ils ont échangé des idées visant à minimiser les conséquences dramatiques d’une interruption de l’alimentation électrique. Voici une liste non détaillée de certaines conséquences résultant d’une telle interruption, que ce soit à cause d’un black-out accidentel ou bien suite à un délestage découlant de l’intermittence de l’électricité d’origine éolienne et solaire : 
Les trains sont arrêtés en pleine campagne et les métros dans l’obscurité des tunnels, tandis que les trams bloquent les carrefours ; les passages à niveau restent fermés. Les tunnels ne sont plus accessibles par manque de ventilation. Sur les routes, c’est le chaos, car les feux de circulation sont à l’arrêt et la police est débordée. Les écluses n’étant plus opérationnelles, le trafic fluvial est aussi paralysé. Les pompes à essence ne fonctionnent plus, ni, bien entendu, les bornes de rechargement des véhicules électriques. La sécurité dans les prisons devient préoccupante. 
Les alarmes se déclenchent un peu partout. Les portes électriques des immeubles et portes de garage restent désespérément bloquées. Des personnes sont bloquées dans les ascenseurs avec peu de possibilités de les secourir. Les pompiers sont débordés, car des incendies nombreux sont occasionnés par l’usage de bougies, la population maladroite n’y étant plus habituée depuis longtemps. En plus, la pression d’eau chute partout, car les pompes indispensables à l’alimentation ne fonctionnent plus. Si on est en saison froide, il va faire froid, car les chaudières ne fonctionnent plus. Les hôpitaux disposent de groupes électrogènes, mais ils doivent fonctionner au ralenti car les réserves de carburant sont limitées.
Tout ce qui est numérique ne marche plus : ordinateurs, smartphones (de toute façon, les antennes de transmission ne fonctionnent plus), payements électroniques (plus d’achats possibles, ni en ligne ni même en cash dans les magasins, les caisses enregistreuses ne fonctionnant plus). Tous les services de la protection civile sont en panne. Etc.
Les autorités gouvernementales sont privées de moyens de communication avec la population, ne fut-ce que pour donner des explications et des consignes. Bien entendu, l’industrie est à l’arrêt, ainsi que tous les appareils domestiques. Les conséquences économiques d’un black-out seraient très dommageables. C’est pourquoi nous avons demandé à deux représentants du monde de l’industrie de nous donner leur point de vue sur les risques d'une interruption de l’alimentation électrique. Nous pourrions continuer la liste tant la fée électricité est présente dans chacun de nos gestes quotidiens. Nous sommes toutefois convaincus que cela n’arrivera pas, du moins pour ce qui est du délestage occasionné par les énergies intermittentes. Les ingénieurs ont toujours mis un point d’honneur à assurer la continuité de l’alimentation électrique et ils continueront à la faire.
Mais l’autre raison est qu’il est peu probable objectivement que ces énergies se développent au-delà d’un seuil qui se rapproche : les inconvénients et le surcoût finiront par limiter leur développement, d’autant plus que leur impact sur la réduction des émissions de CO2 n’est pas celui que l’on avait annoncé. Les ingénieurs ont encore beaucoup d’avenir... 

S.F.

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