SEPTEMBRE 2017

« Parler la langue des autres…
et faire leurs guerres »

par Vincent GOJON


Qui n’a pas dans ses souvenirs de film américain, qui n’a pas eu sa sensibilité, son jugement formés par eux – qui n’a pas cherché à s’identifier à un de leurs personnages, qui ne va pas placer ce genre de références dans sa conversation quotidienne… au point d’en arriver à penser et à réagir comme eux, pour leur plus grand intérêt, oubliant hélas trop souvent ce pays pourtant si fort d’où il vient et que l’on va désormais qualifier de « franchouillard » … faisant tout soi-même pour ne pas mériter ce qualificatif. 

Vaste sujet, déjà abondamment traité, aussi allons-nous nous concentrer sur le domaine des opérations militaires, aux implications si nombreuses sur la marche du monde en ce début de XXI° siècle.

Reparlons des films, et spécialement de ceux de ces dernières années – que l’on vous conseillera de regarder en VO, car il faut bien apprendre l’anglais n’est-ce-pas, et tant pis si on acquiert ainsi l’accent de la populace américaine (oui, il y a assez peu de films « british Oxford ») Là on y verra les Américains sauver la planète (enfin la Californie ou New York) face aux zombies, aux virus, aux extra-terrestres… et très, trop souvent face à d’horribles Russes –plus qu’avant ? Du répugnant « Salt » au ridicule « Air Force One » ce ne sont que mafias russes, soldats félons, dirigeants fêlés qui rêvent de redonner au pays sa grandeur perdue… 

Tout cela se règlera dans la violence malsaine et chaque année pire (pauvres adolescents) avec la même scène de fin qui n’en finit pas, où le méchant – vraiment très méchant, jamais d’empathie, de recul – se verra éparpiller par le Bon. On reconnait d’ailleurs très vite le Méchant, on le sentirait presque. Tout cela dans une orgie de violence et de grossièreté, dont les effets à long terme ne sont pas encore évalués : personne ne se demande pourquoi les enfants de braves Camerounais transplantés en banlieues françaises deviennent d’agressifs rappeurs que l’on croirait sortis du Bronx ? Notons aussi qu’on se trahit beaucoup dans ces films, où finalement honneur et fidélité ne sont jamais valorisés, que positions et grades ne veulent rien dire, et qu’on préfère toujours s’appesantir sur la noirceur vénale des caractères.


L’Aube rouge
Moralité : ne faire confiance à personne, tout le monde a son prix – un peu sombre, non ? enfin il parait que c’est ce qu’il faut montrer, comme leurs films de gangsters. Une des premières choses sacrifiées ainsi est la considération due aux grades et au rang – mais comme pour les accents, quel est le public visé ?

En même temps viendra l’étude de la langue anglaise, qui sera le prétexte d’un bon endoctrinement, sur tous les sujets de la bien-pensance dominante.

On ne dira jamais assez le rôle des cours d’anglais dans la dissémination de la bien-pensance universaliste.

Notez qu’une fois la grammaire étudiée et le vocabulaire maitrisé, on pourrait s’intéresser à mille et un sujets, qu’on développerait donc en anglais : non, et qui de nous ne se souvient pas des heures passées à discourir sur les droits de l’homme, les discriminations, le racisme, les droits des minorités, bref tout ce qui rend petit à petit invivables ces grands pays d’Amérique du Nord : ouvrez un de leurs journaux, écoutez une télévision, on ne parle que de ça ! et les sujets militaires n’y échappent pas : tout le monde aura un avis sur la ridicule polémique des transgenres, comme s’il s’agissait de son propre pays…

L’étude des diverses Constitutions américaines, du système judiciaire, des élections occupera des mois – on aurait pu approfondir ainsi l’Australie, l’Irlande, l’important étant d’apprendre la langue elle-même – mais non, il faut bien s’imprégner de ce qui est censé être la lumière du monde. On aurait pu parler de sciences, de nature, de comédies, se raconter des blagues : non, ces pauvres élèves puis étudiants devront subir des heures de « civilisation américaine » – oui, ça s’appelle vraiment comme ça. 

Et après toutes ces années, une fois le pli pris, notre jeune soldat va débuter dans la carrière. Ce seront les murs de l’académie recouverts de photos de l’USAF sans que figure une seule photo de l’armée de l’air ou des avions nationaux – je l’ai vu – on s’émerveillera ensuite sur leurs machines volantes, car bien sûr on aura vu Top Gun et équivalents, on regrettera juste de n’avoir que ce que l’industrie nationale nous donne (dans les pays d’à côté on passera de suite au matériel américain, à la demande générale – eh oui, le gavage dure depuis des années chez eux aussi). On s’attachera ensuite à sélectionner certains que l’on enverra poursuivre, au début ou plus tard, une scolarité temporaire de l’autre côté de l’Atlantique : au retour, soyez-en sûrs, ce seront les plus zélés vendeurs de tout ce qu’ils auront vus. Ils auront bien sûrs été observés là-bas, par leurs supérieurs mais aussi pendant leur temps libre, durant lequel des bénévoles civils les cornaqueront pour être bien sûrs qu’il n’y a aucune déviance. Notons que ce n’est jamais que le système des Young Leaders, vous savez ce programme merveilleux de formatage de nos élites politiques à l’esprit d’outre-Atlantique : ils y vont (parrainage nécessaire !) puis au retour vous vanteront les quotas, la discrimination positive, l’acceptation des déviations sexuelles, l’interventionnisme US nécessaire… N’ironisez jamais sur les messages qu’on vous demandera de véhiculer, vous passeriez aussitôt la trappe – quel dommage, au vu de ce que cela va vous rapporter par la suite. Il n’a échappé à personne que les actuels Présidents et Premier Ministre français actuels sont tous les deux passés par ce programme …

Continuons dans la carrière : ce sera la formation technique (pourquoi encore s’embêter avec le français et son vocabulaire aéronautique ?) puis les exercices, les manœuvres avec les Américains qui vous notent, parfois formellement (OTAN) parfois amicalement (combien de fois avez-vous entendu dire « les Américains ont été impressionnés » alors qu’ils étaient juste joyeusement polis : « great, nice job, tremendous ! »

On est tellement désespéré de plaire que certains officiers retombent en enfance, on s’accroche des galons US sur ses tenues car bien sûr « ils » ne connaissent pas les nôtres (et alors ?) 

On se laisse visiter ses avions la nuit, décortiquer son pod CME sans rien dire sur les bases américaines, on les remercie de venir squatter Djibouti, bref ils ont toujours raison.

Lors d’un accident d’avions sur une base espagnole on entend dire « pas de portable, les américains ne veulent pas » – ah bon, on est en Amérique ? et personne ne relève ?

Le dressage (films, scolarité, beaux avions) a porté ses fruits – et c’est comme ça que l’on arrive à servir un autre maître que son propre pays. Mais l’exemple venant du plus haut du pouvoir politique depuis quelques années fait que cela n’est pas bien grave. On dénigrera les opérations africaines, la défense du territoire ou des territoires d’outre-mer en disant que c’est du " franco-français " et on ira tranquillement faire des guerres là où notre pays n’a rien à faire… en croyant faire plaisir à des gens qui de toutes façons ne changeront pas d’avis sur nous, nous méprisent dans leur grande majorité et ressortent toujours les mêmes histoires (ah les F111 qui se virent refuser le passage par les Pyrénées, l’Irak de 2003 où nous n’étions pas) alors pourquoi dans ce cas se donner la peine de les aider dans leurs guerres, en y perdant du monde ?

Remarquons en passant que l’OTAN est un fantastique aspirateur de conscience nationale, on y va parce qu’ils l’ont décidé – et après on utilise ce mot magique de coalition, bien commode pour que chacun se camoufle un peu, y compris les américains quand il y a pertes… ou bavures. Dans quelques années cette organisation sera en Birmanie ou en Angola si ça continue comme ça !

On y base presque toute les scénarios sur la politique du rogue – rogue state pour commencer, puis rogue pilot, c’est-à-dire l’homme qui décide de ne plus être lié par les accords de cessez-le-feu que son pays a signé, bref qui pète un plomb et qui va se ruer sur vous. C’est gentil pour le professionnalisme de leurs officiers – mais bon puisqu’ils sont le Mal, c’est comme ça que cela doit être, n’est-ce-pas (revoir le conditionnement des films) De notre côté on pratiquera le « push » c’est-à-dire en gros qu’on se jette sur eux en criant avant de rebrousser chemin, un peu comme un éléphant qui charge et qui s’arrête à trois mètres de vous… mais ça, ce n’est pas de la provocation ça (revoir le Bien face au Mal).

Afghanistan : Briefing franco-américain avant un départ en patrouille

Reparlons de fascination : à des Belges on parlera anglais, on retournera en échange chez des Tchèques un an après et on se félicitera « qu’ils aient fait des progrès en anglais » (message reçu par eux : pas la peine de faire le plus petit effort en français… oublions l’Histoire européenne) – on s’obstinera à parler anglais à des Roumains francophones, on copiera les structures de commandement US jusqu’au ridicule, reprenant à l’identique après traduction les nouveaux noms des grands commandements américains … Comme dans la pub et l’audiovisuel, on se gargarisera de targeting, de counter-strike, de refueling, de close-loop, des cercles de Warden, on ne s’équipera plus avant d’aller à l’avion, ce sera le dress suivi du walk … et plus on empilera de ces termes, plus on sera sûr d’impressionner au détriment de toute véritable réflexion. J’ai lu un livre sur les opérations aériennes en Afghanistan, où il semblait que la seule qualification qui importait était l’aisance à jongler à la radio avec tous ces mots-codes et ces accents – et là on impressionne au retour, car on absolument hermétique pour ceux qui n’y ont pas été ! Petit rappel : à ce petit jeu, nous serons par définition toujours inférieurs, que ce soit en l’air ou en réunion, de par notre formatage linguistique – à moins de devenir réellement bilingues, tels des Danois ou des Hollandais. Est-ce que nous voulons réellement ? 

Un Suédois me disait un jour que dans leur pays ils étaient très bons en anglais car leur petit nombre rendait non-rentable les doublages de films, et il n’y avait donc que des VO sous-titrées qu’ils regardaient dès l’enfance… Amsterdam est parait-il devenue une ville bilingue, les études supérieures s’y font en anglais, et dans le monde entier des familles d’expatriés français mettent leurs enfants dès la maternelle à l’école anglaise, comme ça « on ne perd pas de temps » Fort bien – rappelons-nous toutefois que l’on n’arrivera jamais à s’élever au niveau des 5 eyes country vous savez, les US et ces quatre autres pays peuplés … des mêmes gens en fait ! et tout cela crée le réseau Échelon d’espionnage planétaire, dont la caractéristique est de ne faire confiance à personne d’autre, et que les ceux qu’on espionne n’y attachent qu’un intérêt poli (exemple : chancelière allemande, gouvernement français …) mais puisque c’est pour la bonne cause ( voir les films, plus haut).

On dira « IED » au lieu de mines, en Afghanistan puis en Afrique par mimétisme, alors que c’est aussi long à prononcer – comment ne pas penser à la réplique de Jean Reno dans « l’Enquête corse » : « tu te fais appeler Jack palmer ? ah oui, ça fait américain, c’est mieux… » et on arrivera chez nous à parler anglais lors d’opérations africaines parce qu’on ne saura plus s’exprimer que comme ça – ou on s’exprimera dans cette langue parce qu’il y en aura deux sur quarante participants à une réunion... Que sont devenus les enfants des cuirassiers d’Eylau ?

On va commencer par ne plus apprendre ça à l’école, comme ça tout disparaitra et on ne sera plus embêté, n’est-ce-pas ? Et au final on se retrouve avec la chargée de communication sénégalaise de l’Élysée qui nous dit « yes, la meuf est dead » en parlant de Simone Weil…. Un député européen était quand à lui hier tout heureux de parler le « globish » c’est-à-dire le mauvais anglais.

Les réflexions stratégiques comme les retours tactiques des récents conflits en seront que la resucée des pensées américaines – les américains disent que, ont trouvé – et les Anglais, les Turcs, les Sud-africains, les Indiens, tous ces gens qui ont leurs guerres, ils n’ont rien à nous apprendre ?

Quand avons-nous pour la dernière fois développé un système d’armes de notre invention, original, au lieu de copier ce qui se fait outre-Atlantique avec dix de retard au minimum ? Pas la peine de se donner du mal de toutes façons, puisque les chefs d’états-majors nous disent que nous ne serons plus jamais seuls, que nous serons toujours au sein d’une coalition – et pas besoin de vous dire avec qui. On se persuadera qu’un grand pays comme la France ne peut plus techniquement faire de guerre seul, à des petits pays comme la Serbie ou la Lybie déjà affaiblis par des années de blocus… ou alors les raisons de ces guerres sont si peu claires qu’il vaut mieux les partager avec d’autres. Dans tous les cas, celui qui contestera cet état de chose le paiera bien vite d’une mise à l’écart. 

Et à propos de contester, vous pouvez toujours vous y essayer, la chance est forte qu’on vous enverra aussitôt à la figure, le débarquement de juin 1944, que vos interlocuteurs soient vos nationaux ou de la famille anglo-saxonne. Ah, s’ils n’étaient pas venus nous aider … combien de fois l’avons-nous entendu, pour des opérations qu’on n’a jamais tant fêté qu’elles s’éloignent (cette année 2017, on nous a rajouté leur arrivée en 1917, pour bien enfoncer le message) Quelques petites considérations : nous étions en chemin… et s’il avait été techniquement plus intéressant de débarquer sur la côte belge au sud d’Anvers, c’est comme ça que cela se serait passé, poursuivant ensuite vers l’Allemagne, ce qui n’aurait pas posé de problème (voir comment la moitié de la France se vida de ses Allemands une fois la tenaille refermée par la Provence) On entend tout sur cette époque, que les US sont entrés en guerre contre l’Allemagne – faux, c’est Hitler que sa folie poussa à déclarer cette guerre en premier, le 11 décembre 1941 ayant attendu quatre jours après Pearl Harbor – alors que les Américains avaient déjà assez à faire avec les Japonais qui venaient de les attaquer et ne se pressaient pas de faire plus… on m’a aussi soutenu agressivement que Soviétiques et Américains sont rentrés simultanément dans Berlin (demandez au général Patton !) on l’a aussi appris à mes enfants à l’école – et là je crois que les lecteurs de cette revue n’en ont pas besoin de plus…

Qui a jamais fait le compte précis des victimes des bombardements alliés en France en 1944 – le Havre, Lyon, Brest, Caen… – Calais et Royan c’était juste pour garder la main, on n’allait pas ramener les bombes ! Près de 80 000 morts, à peu près autant que l’occupation allemande en France et encore, si on compte les déportations….

En 1944 se déroula la grande offensive d’été de l’Armée Rouge, l’opération Bagration, infiniment plus vaste que l’opération Overlord de Normandie. Deux millions trois cent mille soldats et vingt-quatre mille canons pour libérer la Biélorussie et y progresser de plus de 500 km, avant l’offensive finale sur l’Oder en janvier 1945 … La Wehrmacht ne devait pas s’en relever – mais qui s’en souvient en France, on n’a pas fait de film là-dessus avec Bourvil, John Wayne et Robert Mitchum… En 1946, 57 % des Français considéraient comme primordial le rôle de l’Armée Rouge dans la victoire sur le nazisme – soixante ans plus tard en 2015, ce pourcentage était tombé à 8 % ... Les films sur les sauveurs de la planète et le rouleau compresseur culturel avaient fait leur œuvre. Pensez-y juste, car si on ne se souvient plus des héros de Stalingrad c’est comme s’ils mourraient une deuxième fois….

Tout ce qui précède et les développements que vous pourrez y ajouter, vous fera immanquablement qualifier d’anti-américanisme primaire : vous avez compris, si vous n’êtes pas d’accord c’est que vous n’avez pas d’instruction…. Or parler une langue, admirer des avions ne devrait cependant pas être une raison de prendre à son compte tous les projets et vices d’un autre pays. Souvenons-nous quand même que le latin a fini par s’écrouler sous on propre poids…


V.G.

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