SEPTEMBRE 2016

Du soft power russe

par Alexandre ORLOV

Commençons par une déclaration, qui pourrait paraître paradoxale : la Russie n’a pas de soft power. La Russie a une culture, des idéaux et des valeurs, des traditions séculaires et, bien sûr, des intérêts. Mais elle n’a pas de soft power.

Ce terme de soft power possède une connotation particulière : il sous-entend l’expansion, la violence, la contrainte. Ce n’est pas par hasard que cette notion va de pair avec le hard power. Et ce n’est pas par hasard, non plus, que ce terme nous vient des États-Unis. Ces dernières années, à plusieurs reprises, les États-Unis ont fait usage du soft power pour promouvoir, voire imposer, leur idéologie, en faire un instrument de domination géopolitique, d’élargissement de leur sphère d’influence, de diabolisation des « régimes incommodes ». Et si le soft power ne suffisait pas, le hard power était là pour l’épauler. Aujourd’hui, les conséquences en sont visibles en Irak, en Libye, en Syrie ou encore en Ukraine.

La Russie moderne, elle, n’impose rien à personne. Elle n’est pas moins attachée que les États-Unis aux idéaux de la démocratie et aux principes de l’économie de marché. Contrairement aux années de guerre froide, lorsqu’il s’agissait d’une confrontation de deux systèmes socio-politiques différents, la Russie, aujourd’hui, n’a aucun antagonisme idéologique avec l’Occident. Elle est respectueuse des particularités historiques et culturelles des autres peuples et considère qu’aucune valeur, aucun modèle social ne peut être imposé par une décision arbitraire. Chaque pays est libre de choisir et de suivre son propre chemin. Les particularités et les traditions russes doivent être, elles aussi, respectées. Il est inutile de vouloir imposer une vision du « bien » et du « mal ». L’expérience de l’Union soviétique, de ses ambitions d’exporter ses valeurs idéologiques partout dans le monde, ne doit pas être occultée – rien de bon n’en est sorti. La Russie est prête à défendre ses intérêts et sa sécurité, mais cela ne signifie pas qu’elle suit une logique de lutte pour les sphères d’influence.


Du soft power au rayonnement

C’est pourquoi le terme soft power est inapproprié pour évoquer la Russie contemporaine. Il est d’ailleurs à noter que, ces derniers temps, les hommes politiques français cherchent, eux aussi, à éviter cette expression, lui préférant la formule du « rayonnement de la France ». 

Contrairement aux instruments du soft power qui visent une expansion politique et idéologique, le sens du terme rayonnement est tout à fait différent. Il sous-entend la création des conditions propices pour le développement de relations mutuellement avantageuses avec d’autres pays. Ainsi, le rayonnement de la Russie en France s’appuie sur des bases historiques solides, sur des liens séculaires et une sympathie mutuelle entre nos peuples, sur l’interpénétration profonde de nos cultures.

Notre mémoire historique commune nous est chère. Sans remonter à l’époque du Moyen Age et à la princesse russe, Anne – fille de Iaroslav le Sage, devenue il y a presque 1 000 ans reine de France –, il suffit de rappeler qu’au cours des deux derniers siècles la Russie a sauvé la France pas moins de trois fois : en 1814 – lorsque Alexandre Ier a empêché la division de la France, la maintenant dans ses frontières historiques ; en 1914 – quand l’offensive de l’armée russe sur le front de l’Est a rendu possible le « miracle » de la Marne ; et, enfin, durant la Seconde Guerre mondiale, lorsque l’URSS a joué le rôle décisif dans la victoire sur le nazisme

Avril 1916, les soldats du corps expéditionnaire russe arrivent en France


L’Escadrille Normandie Niemen
Il y a un an, une salle dédiée au légendaire régiment Normandie-Niemen, rappelant ainsi une page glorieuse de la fraternité d’armes franco-russe, a été inaugurée au Musée de l’air et de l’espace du Bourget. Cette année, ce sont les 100 ans de l’arrivée en France du corps expéditionnaire russe qui seront célébrés. Des stèles commémoratives seront inaugurées à Marseille et à Brest, les deux ports français où ont débarqué les brigades russes. Il est important de ne pas oublier que la Russie a toujours été une alliée fidèle et fiable de la France.

Force est de reconnaître pourtant que la majorité des Français connaissent assez peu les réalités russes. L’image de la Russie est systématiquement ternie, pour ne pas dire diabolisée, par les médias français. C’est pourquoi la Russie attache, aujourd’hui, tant d’importance à la diffusion internationale de ses médias audiovisuels. Ceci n’est pas dans un but de « propagande », mais tout simplement pour rendre accessible une information objective sur le pays, pour expliquer le sens et les raisons de son action sur la scène internationale. À en juger par la croissance constante de leur audience, la radio et le site Internet Spoutnik sont un vrai succès. Prochainement, la version française de la chaîne de télévision RT devrait être lancée.


Pour une image objective

Un bon moyen de donner aux Français une vision objective et réaliste de la Russie d’aujourd’hui est incontestablement le tourisme. Un adage russe dit : « Mieux vaut voir une fois, qu’entendre cent fois. » Nous travaillons beaucoup avec nos partenaires français pour faciliter les formalités de visa, anachronisme au XXIe siècle. Les années 2016-2017 ont aussi été proclamées « années croisées du tourisme culturel et du patrimoine ». Il est à espérer que ce projet contribuera à augmenter le nombre de touristes français en Russie.

Il est largement connu que le cinéma est d’une efficacité redoutable pour promouvoir sa culture. Hollywood en est la meilleure des preuves. Le cinéma russe suscite de plus en plus d’intérêt chez les Français et le nombre de festivals du cinéma russe en France ne cesse de croître – Honfleur, Paris, Bordeaux, Strasbourg, Marseille.

Un autre projet hautement significatif pour les relations franco-russes est la construction, à Paris, d’un grand centre spirituel et culturel. Espérons qu’il devienne un vrai pôle d’attraction pour tous ceux qui s’intéressent à la Russie, à sa culture, à son histoire, à ses traditions et à son présent.

L’avenir des relations franco-russes se construit aujourd’hui, y compris par l’enseignement aux jeunes de la langue et de la culture de l’autre. Malheureusement, ces dernières décennies, l’enseignement de la langue russe dans le système éducatif français recule. Nous essayons de remédier à cela.

Aujourd’hui, il existe en France une diaspora russe importante : ce sont les descendants de ceux qui avaient quitté le pays après la révolution de 1917, et aussi ceux qui ont cherché une vie meilleure lors des années troubles de 1990 ; ce sont souvent des familles mixtes. Comme toutes les diasporas, la nôtre fait le pont entre la France et la patrie historique, contribue à renforcer la compréhension entre nos peuples et à promouvoir l’image positive de la Russie. Les citoyens russes de France sont en quelque sorte, eux aussi, des « ambassadeurs » de Russie.

Ces dernières années, on a pu constater une croissance rapide des échanges entre les sociétés civiles russe et française. L’association Dialogue franco-russe, qui regroupe des hommes politiques, des hommes d’affaires et des représentants de la société civile des deux pays, y est pour beaucoup.

S’agissant des aspects politiques de l’influence russe en France, nous sommes ouverts au dialogue avec tous les partis et toutes les forces politiques qui le veulent. Il est d’une très grande importance que les partis politiques de gauche comme de droite se prononcent pour le rapprochement avec notre pays. C’est la preuve que les relations franco-russes sont au-dessus des préférences idéologiques du moment et que leur développement correspond aux intérêts fondamentaux de nos Etats et de nos peuples.


A.O.

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