MAI - JUIN 2017

La défense en marche ?
E. Macron et le général Palomeros…

par Roland PIETRINI


Que les choses soient entendues, je ne reviendrais pas sur les élections présidentielles, celles-ci ont eu lieu, les Français se sont exprimés, un nouveau président a été élu démocratiquement pour cinq ans et les élections législatives détermineront prochainement s’il aura une majorité suffisante pour  l’application de son programme ou s’il devra cohabiter. 
Dans tous les cas, cohabitation ou pas, Emmanuel Macron sera dans quelques jours le nouveau chef des armées conformément à l’article 15 de la Constitution du 4 octobre 1958.

Cet article indique clairement le rôle éminent du Président « Le Président de la République est le chef des Armées. Il préside les conseils et les comités supérieurs de la défense nationale » Il est aussi, en vertu de l’alinéa 2 de ce même article, « le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités ».
La défense, la sécurité intérieure, la politique étrangère, seront donc au cœur des responsabilités et des préoccupations du nouveau président, il apprendra comme tous les autres, que parfois ce sont les circonstances dramatiques qui en donnent le sens.
D’autre part, les engagements des armées de la France dans la lutte contre le terrorisme en Afrique, dans la bande sahélo-saharienne tout comme au Levant, en Irak et en Syrie semblent ne pas être remis en cause, pas plus que les traités bilatéraux qui nous engagent auprès de certains pays africains notamment. Enfin, l’appartenance à l’Otan n’est pas une question, au contraire, le candidat Macron n’avait laissé planer aucun doute à ce sujet. 
Ces tâches régaliennes, fort heureusement, il ne les assumera pas seul, même si les décisions les plus ultimes lui reviennent, il les assumera en étant entouré  de conseillers, de son Etat-Major particulier, du ministre de la défense qui sera nommé et des chefs d’Etat-major, du CEMA et des autres armées, sans oublier de son Premier Ministre qui sera chargé de la mise en œuvre de la politique de défense.
La constitution, les structures de l’Etat lui en donne l’autorité et les moyens. 
Ce nouveau jeune Président que l’on dit pragmatique, devra rapidement mesurer l’ampleur de sa tâche, et devra très vite entrer dans la peau d’un chef. Sans lui faire aucun procès d’intention, il est amusant de constater qu’il sera le premier chef d’Etat à ne pas avoir effectué de service national, ce qui d’ailleurs ne change pas grand-chose, la plupart de ses prédécesseurs l’ayant effectué, (Chirac mis à part), dans des conditions plutôt privilégiées de « fils d’archevêque » comme le diraient certains, son approche n’en sera que plus libre de toute influence. 
Son projet de réactiver le service national ne saurait donc découler d’une frustration quelconque. Il faut d’ailleurs constater que le projet n’est plus évoqué comme étant une priorité, fort heureusement, compte tenu de la légèreté de la réflexion. 
Ces faits étant rappelé, il m’apparait utile de revenir sur le projet défense du candidat Macron avant qu’il n’ait été élu Président. 
En résumé, ce projet prévoit de porter à 2 % du Pib en 2025, soit après la fin du quinquennat. « La spirale déflationniste a été interrompue et nous continuerons en ce sens », soulignent ses conseillers. Sur cette question des 2 % du PIB - une perspective sur laquelle se sont engagés les membres de l'Otan -, « il y a une échéance militaire, en 2022, et une échéance budgétaire, plutôt en 2025. On verra comment les rapprocher », dit-on dans l'équipe d'En marche! L’opération sentinelle est maintenue tant que la menace subsiste, ce qui apparait un peu vague, une Task-force permanente sera créée pour la lutte antiterroriste, afin, notamment, de «réduire les cloisonnements entre les différents services de renseignements» , ce qui en gros existe déjà, Par ailleurs, un centre de planification des opérations intérieures sera mis sur pied, sous la forme d'un état-major associant les divers services et ministères (Intérieur, Défense, Transports, Santé, Industrie...) impliqués dans le combat contre la menace terroriste. Un nouveau Livre blanc sera rédigé pour la fin de l'année 2017, préludant au vote, au premier semestre 2018 d'une Loi de programmation militaire (LPM). Rien de bien nouveau donc, il faudra attendre. Attendons.
Ce qui apparait un peu faible, c’est que le candidat Macron, peu au fait des problèmes de défense patientera, afin que le président Macron se fasse une opinion sur le sujet.  
J’ai noté cependant, dont acte, une première approche plutôt positive qui indique que ce dans ce domaine le pragmatisme semble l’emporter en s’adressant à des « spécialistes » plutôt pointus en la matière. 
En effet, le général (2S) Jean-Paul Palomeros, a rejoint son équipe d’une dizaine de personnes afin de développer un projet de défense pour les cinq ans qui viennent « un consensus sur l’analyse des problèmes et les difficultés pour préparer l’avenir, et pas juste pour le quinquennat, mais bien au-delà […] car les menaces vont continuer à évoluer ». 
Le général Palomeros qui considère qu’Emmanuel Macron est « très imprégné de son rôle de chef des armées », et que son engagement s’inscrit « dans un esprit républicain (que j’ai rejoint l’équipe Macron) pour l’aider à construire un projet », souligne qu’il s’est « engagé auprès de politiques et non pas en politique ». 
Qu’un général de ce niveau, et avec une telle expérience s’engage auprès de lui ne m’apparait pas incongru, bien au contraire. Je note cependant un point qu’il convient de souligner compte tenu des très hautes fonctions qui furent les siennes, celles de commandant allié transformation au sein de l'OTAN de 2012 à 2015, après avoir été chef d'état-major de l'Armée de l'air de 2009 à 2012.  
Ces deux fonctions lui ont donné bien évidemment, une hauteur de vue indispensable à sa réflexion qui ne peut donc être que globale et géopolitique mais aussi, c’est une interrogation légitime, une vision possiblement assez otanienne et plutôt anglo-saxonne de la défense. (Il est d’ailleurs diplômé du Royal Air Force Staff College de Bracknell en Grande-Bretagne). 
Un autre point important est celui la défense européenne, évoquée par le candidat Macron dans son programme. Cela se résume à « La création d’un Fonds européen de défense, pour financer des programmes communs » mais cela a déjà été annoncé par la Commission européenne, en novembre 2016 et la création d’un Conseil de sécurité européen composé de militaires, diplomates et experts du renseignement, pour conseiller les décideurs européens. Cela a aussi été évoqué lors du Conseil européen de décembre 2016. Ces propositions plutôt molles s’inscrivent dans la continuité de la politique menée jusqu’à présent par François Hollande. 
A ce sujet, il faut aussi se souvenir de l’intervention du général Palomeros le 13 octobre 2016 lors du petit-déjeuner du Club de l’Audace (créé en 2003 par Thomas Legrain, le Club réunit une fois par mois autour d'un invité prestigieux des chefs d'entreprises, des professionnels du conseil, des journalistes et des représentants du secteur public dans le cadre de débats sur un sujet d'actualité). Lors de cette intervention, le  général, indiquait que cette question d’une défense européenne s’était imposée à lui, alors qu’il était en poste à Norfolk pour l’OTAN. « Concept malmené, schématisé voire oublié, la défense européenne nécessite de repartir sur de nouvelles bases. Face à des risques de sécurité toujours plus forts, des évolutions majeures sont nécessaires, et le Brexit pourrait bien être une opportunité pour repartir sur des bases saines. 
... Cette histoire de la défense de l’Europe met en avant une volonté de création d’un futur porteur de valeurs communes soutenues par trois piliers : économie, politique et défense. Cette architecture a été encouragée par les Américains, via l’Alliance Atlantique, et ces derniers continuent à soutenir l’existence d’une Europe de défense forte à même d’assumer sa part de responsabilité dans un environnement sécuritaire instable. Cependant, à l’heure où la solidarité européenne est mise à mal, la création d’une défense Européenne exige plus que jamais une refondation cohérente de l’Europe au plan politique, économique, et sécuritaire. »
On voit bien que, la défense européenne n’est pas encore pour demain. Il reste donc l’espoir d’une coopération plus marquée entre les différents acteurs majeurs en matière de défense en Europe, on ne saurait d’ailleurs résumer cette approche par une simple augmentation des budgets en pourcentage des PIB.
Cette approche en pourcentage du PIB est d’ailleurs contestable dans l’absolu, puisque la France qui est 6 avec 2488 milliards de dollars de PIB derrière l’Allemagne qui pèse 3473 milliards de dollars, n’a pas les mêmes responsabilités géopolitiques et mondiales. La France dispose de la force nucléaire, fait partie du conseil de sécurité et est engagée dans des conflits, ce qui n’est pas le cas de notre voisin. Or l’Allemagne pourrait consacrer 69.46 milliards de dollars à sa défense alors que la France qui possède la puissance nucléaire ne pourra dans l’absolu avec la même règle de calcul consacrer que 49.76 milliards de dollars à sa défense. 
Nous voyons bien ainsi quelles sont nos limites, et on comprend mieux pourquoi l’Europe de défense est un enjeu majeur. La France doit donc s’engager dans un dialogue de coresponsabilité avec ses voisins et demander à ses pairs un plus grand engagement. La France ne saurait s’engager seule dans la défense de l’Europe sans que celle-ci ne participe plus activement à cette impérieuse nécessité. Or cette préoccupation n’apparait pas d’évidence dans le programme de Monsieur Macron. Un exemple, si les Etats Européens majeurs (France, Allemagne, Pologne, Italie, Espagne, Benelux) mettaient en commun leur 2 % de leur PIB ajoutés, cette Europe à 11 377 milliards de dollars pourrait consacrer 227.54 milliards de dollars, et se situerait  soit entre la Chine 145.8 milliards de dollars et les EU 597.50 milliards de dollars (chiffres 2015). 
La tâche de réflexion à entreprendre est donc immense. Quelle défense pour une France, à quel niveau et pour quoi faire? Il ne va pas uniquement de notre sécurité, mais aussi de la place que nous voulons conserver dans le monde. 
Plus prosaïquement, nous avons un chantier immense à ouvrir, tant dans le domaine des effectifs que celui des matériels et plus globalement du dimensionnement des forces, ainsi que leur capacité à être projeté et engagé sur des théâtres de plus en plus divers et éloignés qui demandent une logistique de combat de plus en plus développée. 
Nous savons tous, que l’emploi des forces relève de paramètres extrêmement complexes que l’on pourrait résumer par l’organisation, les ressources humaines, les équipements, le soutien, l’entrainement et en dernier lieu la doctrine. 
Pour l’armée de terre, le programme Scorpion est essentiel, j’y reviendrais, car il remet en cause en profondeur les évolutions des structures de combat. L’accélération de sa mise en place est essentiel, tout comme les Frégates de taille intermédiaire pour la Marine et le nombre de ravitailleurs et d’avions multi- rôles Rafale pour l’armée de l’air. Ce ne sont que des exemples. 
La mise en place d’une revue stratégique pour « la fin de l’année » qui sera suivie d’une nouvelle loi de programmation militaire ne saurait attendre. Selon le général Palomeros « le Brexit est un gros problème parce que la Grande-Bretagne est une puissance nucléaire ». Il faut se poser la question, a-t-il dit de « comment la GB restera-t-elle dans la défense européenne ? » Car si elle part complètement « alors il va manquer des capacités, des savoir-faire ». « J’espère qu’on pourra garder le bilatéral et il faudra se le fixer comme objectif », a-t-il annoncé.
On voit bien que tous ces sujets, oubliés lors des débats du premier tour et à peine évoqués lors du second ne pourront désormais être occultés tant ceux-ci sont majeurs pour notre sécurité. Ces sujets que l’on ne peut traiter sans une certaine culture de défense sont essentiels à notre survie. Les médias et certains politiques jouent les idiots utiles, en servant les ennemis de la France, à ne pas les évoquer. 
Le nouveau chef des armées devra apprendre vite, il devra aussi faire effort de pédagogie pour faire comprendre ses choix, qui sont pour l’instant avec les conseils ou pas du général Palomeros en l’état de de brouillon pour ne pas dire brouillon tout court.  
Avec une défense en Marche, l’objectif n’est pas encore atteint, un effort de clarification s’avère absolument nécessaire.
 
R.P.

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