DÉCEMBRE-JANVIER 2018/2019

Cent euros qui ne valent pas cent francs

par Claude ROCHET


En 1907, face à la corruption généralisée du marché des vins du midi, les vignerons se révoltèrent.
Une révolte radicale, violente, une révolte du désespoir. En ce temps-là, on envoyait l’armée, faute de CRS. Mais les soldats du 17° régiment de ligne étaient originaires du pays et mirent crosse en l’air. Que faire ? Exhiber un Castaner, mal rasé sortant d’une partie de poker avec la bande de Gaétan Zampa, pour faire de rodomontades et expliquer que les vignerons étaient au service de l’Allemagne ?
Meeting vigneron où prennent la parole Ernest FERROUL, maire de Narbonne et Marcelin ALBERT

En ce temps-là, les classes dominantes dominaient, mais le faisaient avec classe, on sortait de l’école républicaine, on était patriote, on regardait la ligne bleue des Vosges, on avait une culture générale de base et une décence commune aurait dit Orwell. Clémenceau était intelligent et patriote, et surtout bougrement rusé: il fit venir le leader de la révolte, Marcelin Albert, à Paris.
Il faut dire que celui-ci avait fait un tabac : cafetier d’un petit village, Argeliers, il partit avec 87 vignerons pour organiser des manifestations de villages en villages. Il crée un journal revendicatif « Le Tocsin ». Après Sallèles, Bize, Ouveillan, Coursan, Capestang, Lézignan, 100.000 personnes manifestent à Narbonne.
Et tout ça, sans Internet! Devant ce succès, Ferroul, le maire de la ville, rejoint alors le mouvement. L’État fait toujours la sourde oreille et aucune mesure ne semble arriver. La croisade de Marcelin Albert continue. Les manifestations s’enchaînent : Béziers, Perpignan, Carcassonne, Nîmes. On envoie un autre régiment, il y a des morts, des vrais. Finalement, Marcellin Albert décide d’aller voir Clemenceau. Déguisé en chauffeur, il prend le train pour Paris avec le profond désir d’exprimer le désespoir et les revendications du midi.
Viticulteurs de l’Aude, 1907
Carcassonne, Archives départementales de l’Aude
© A.D. Aude/service photographique

Il obtient une entrevue en tête-à-tête avec le Tigre, surnom politique donné à Clemenceau. Marcelin Albert, pauvre vigneron d’Argeliers, seul contre le président du Conseil ! Est-ce raisonnable ? Clémenceau, politicien roué, l’adoucit de bonnes paroles. Clémenceau lui fait promesse de réprimer la fraude si, en contrepartie, Albert retourne dans le Languedoc pour calmer la rébellion. Celui-ci accepte et accepte même de se constituer prisonnier. Clemenceau lui signe un sauf-conduit pour retourner dans l’Aude et lui remet cent francs pour payer son retour en train. Marcelin Albert a la naïveté d’accepter. Clémenceau convoque les journalistes et raconte l’histoire à sa manière. De retour à Narbonne, Marcellin Albert rencontre les membres du nouveau comité de défense et tente de les convaincre de suspendre le mouvement. Mais Clemenceau, avec cent francs, a réussi son coup et totalement discrédité Albert aux yeux de ses compagnons. Il manque de se faire lyncher par ses anciens amis, passant pour un corrompu. Il doit quitter le pays, s’installer en Algérie où il mourra dans la misère.
Quand on a perdu sur le terrain de la force, reste celui de la ruse, du soft power.  Encore faut-il en avoir l’intelligence. Notre jeune roi pensait rééditer le coup des cents francs avec cent euros. Après avoir grief à son bon peuple des violences qu’il avait lui-même déclenchées, comme dans le rôle du bon flic qui succède au méchant, il sort ses cent euros. Problème : en fait de Clémenceau, son ministre de l’intérieur, Castaner, est un crétin qui n’est nullement patriote. C’est un bide intégral!
Morale: On vaut ce que valent les gens dont on s’entoure. Les cents euros de M. Macron n’entreront pas dans l’histoire comme les cent francs de Clémenceau.

C.R.

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