OCTOBRE 2018

L’Islam est-il très différent des autres religions ?

par Alexandre PAJON


« Le XXIème siècle sera religieux ou ne sera pas ». Cette phrase attribuée à Malraux permet d'alimenter des angoisses bien réelles, la peur d'un monde qui s'arrête dans le doute des âmes et l'orgueil de la science là où la foi des anciens transmettait de génération en génération la confiance en l'avenir. André Malraux n'a jamais prononcé cette phrase. Dans un article de l'Express de 1955, il se référait en fait à Freud en expliquant que la psychologie avait réintroduit les démons dans l'homme. Il fallait maintenant, en ce nouveau siècle arrivant, y réintégrer les dieux. Face aux démons diaboliques, le XXIème siècle aurait besoin de l'angélisme de Dieu. Cependant, en dépit de la montée d'un agnosticisme, d'un athéisme imposé dans certains États, d'une laïcité dans d'autres, les hommes et les femmes du monde entier n'ont jamais cessé de croire en des religions ancestrales ou officielles. Il n'est donc pas nécessaire de réintégrer les dieux dans le cœur des hommes puisqu'ils ne l'ont jamais quitté.

Mais il est vrai qu'en ce début du XXIème siècle, une religion en particulier fait l'objet d'une couverture médiatique : l'islam. Du moins en France, politiques, journalistes, intellectuels aiment s'emparer du sujet. Au nom d'une culture et d'une histoire française chrétienne, au nom de la laïcité, nombreux sont ceux qui voient dans l'Islam en France un danger pour la société. Ici les démons refont surface. Parce qu'il existe un islam guerrier, attirant les projecteurs médiatiques, peurs, angoisses et autres névroses apparaissent. Il semble être plus vendeur de faire du pathos, c'est-à-dire de jouer sur l'émotion, que de l'ethos, c'est-à-dire d'expliquer ce qui est réellement. Il ne s'agit pas ici de savoir s'il existe un islam envahissant et qui souhaite convertir le monde entier car il y a là aussi matière à discuter.

Le présent article a simplement pour but, en toute objectivité, d'apporter quelques éléments de compréhension au milieu d'une actualité qui mélange tout, jouant sur l'émotion plus que sur la raison. Peut-être par manque de temps...ou de connaissance.

Il est donc intéressant, en reprenant certains discours entendus dans l'actualité française, d'apporter un certain relativisme. Le voile n'est pas plus islamique que le terrorisme n'est musulman, chrétien, athée ou raciste. L'Algérien, arabe, est musulman comme l'est l'Iranien ou l'Indonésien, non arabe. Les chrétiens arabes sont arabes mais non musulmans. Le voile n'est pas l'apanage de l'islam, tout comme ne le sont pas les différents interdits.

Penser à petite échelle est inutile, apporte une méconnaissance et des préjugés sur plus d'un milliard d'individus. Il est beaucoup plus utile de s'ouvrir l'esprit, ce qui permet une meilleure compréhension.

Il ne sera pas abordé ici le terrorisme mais plutôt quelques éléments de comparaison, menés d'un point de vue légèrement historique, permettant d'expliquer ce qui est réellement.


LES MUSULMANS NE SONT PAS TOUS ARABES ET LES ARABES NE SONT PAS TOUS MUSULMANS

Il semble que la vision française, voire européenne, de l'islam et des musulmans se base sur la région de la péninsule arabique ou du Maghreb. En France, la confusion entre Arabes et musulmans est surtout due à la période coloniale puis à l'immigration maghrébine. Les analyses françaises faites sur cette population résumeraient le monde musulman. Mais à Londres, ce monde est représenté par un Pakistanais ou un Indien. Et à Moscou, il est souvent perçu comme un étranger, les diverses anciennes républiques soviétiques rendant compliqué le repérage d'une identité musulmane.

En France, limiter le monde musulman au Maghreb est une grande erreur géographique car l'Islam est avant tout une religion asiatique. Le berceau même de l'islam est en Asie. Les Arabes viennent d'Arabie bien que nul ne sache exactement comment ils y sont arrivés.

Aujourd'hui, dans la péninsule arabique la population musulmane s'élève environ à 70 millions d'habitants, soit 5 % seulement des musulmans du monde. De nombreux arabes sont également chrétiens, même s'ils sont en voie d'émigration, notamment au Proche-Orient. Tous les arabes ne sont donc pas musulmans et tous les musulmans ne sont donc pas arabes.

Par extension, les berbères d'Afrique du Nord sont assimilés aux Arabes car islamisés et arabisés dès le VIIème siècle. Ils comptent environ pour 150 millions de personnes. Donc même au sens large du terme, les Arabes y sont très minoritaires parmi le milliard quatre cent millions de musulmans dans le monde. Un tiers de ceux-ci se trouvent dans le sous-continent indien (Inde, Pakistan, Bangladesh), et un quart dans le monde indo-malais (Indonésie, Malaisie), deux régions où la population arabe est quasi inexistante.

Mais les musulmans du monde sont cependant tous un peu arabes de cœur et de langue. Le Coran a été transmis à Mahomet en langue arabe, puis fut écrit en alphabet arabe. Sa traduction a été pendant longtemps interdite et aujourd'hui encore elle ne peut servir à des fins liturgiques. Tout comme un catholique devait connaître un peu de latin pour comprendre la messe, un musulman devait s'initier à l'arabe littéral pour approfondir sa foi.

En outre, l'écriture arabe a servi à noter les langues de certains États musulmans, comme l'ourdou, langue indo-européenne parlée dans la République islamique du Pakistan. Et les arabesques ornent de nombreuses maisons. De même que dans l'Europe du Moyen-Âge la culture latine imprégnait toutes les nations chrétiennes, la culture arabe se présente dans tous les États musulmans.

Le fait de se tourner vers la Mecque pour prier et de s'y rendre en pèlerinage fait de l'Arabie la patrie spirituelle de tous les musulmans et d'eux-seuls puisque les non-musulmans ne sont pas admis dans les lieux saints.

Deux facteurs politiques contribuent à arabiser les musulmans. Tout d'abord l'islamisme militant, souvent subventionné par l'Arabie saoudite ou le Qatar et qui tend à propager une culture arabe, notamment par le biais de la charia, ce droit musulman qui se veut sauvegarder les coutumes issues de l'époque de Mahomet, même s'il possède des origines préislamiques, essentiellement mésopotamiennes.

Le deuxième facteur politique se trouve dans le conflit israélo-palestinien qui encourage un panarabisme de solidarité avec un peuple considéré comme arabe même si les Palestiniens ont des origines très mélangées, fruits de multiples invasions au cours de leur histoire.

Pour comprendre l'islamophobie, il est nécessaire de distinguer Arabes et musulmans. En Inde par exemple, ceux-ci sont persécutés par les extrémistes hindous, alors qu'ils sont indiens depuis des siècles. Il en est de même en Thaïlande ou en Birmanie où ils sont persécutés par les bouddhistes alors qu'ils ne sont pas arabes. La difficile coexistence entre l'islam et les autres religions ou philosophies est essentiellement un problème oriental plus qu'occidental.


D'OÙ VIENT L'INTERDIT DES ICÔNES ET DES IMAGES ?

Le fait d'interdire les icônes est-il propre à l'islam ? Le livre sacré liste un certain nombre d'interdits, comme les jeux de hasard, les intoxicants, les stèles ou autres pierres érigées, et explique que prendre des idoles pour des dieux est une erreur. Mais il ne dit pas clairement que les images sont prohibées. Et l'art figuratif n'est pas interdit.

En fait l'interdiction des cultes idolâtres provient des hadiths qui affirment que le jour du Jugement dernier, il sera demandé de donner vie aux idoles. Et comme les sculpteurs ne le pourront pas puisque Dieu seul crée la vie, ils seront alors condamnés à la damnation. Il faut donc éviter les représentations d'êtres animés. Cependant, les interprétations plus libérales des hadiths, autorisent la reproduction de végétaux ou de paysages. Et les lettres ornées, ces arabesques, sont de véritables dessins.  


Le prophète Mahomet, illustration d'un manuscrit ottoman du XVIIe siècle. BNF/wikimedia
Quant à la représentation du Prophète Mahomet, celle-ci n'échappe évidemment pas à la règle, bien que jusqu'au XIXème siècle il était possible de voir sa représentation dans des livres, comme en Inde, en Iran ou dans l'Empire ottoman.

Ces hadiths sont mis par écrit au VIIIème siècle après J.C. Cette époque est également la période des querelles iconoclastes dans l'empire byzantin. Si le deuxième concile de Nicée, en 787, ne donne pas raison aux iconoclastes, cette querelle va encore durer environ 100 ans. L'interdit des icônes n'est donc pas une spécificité musulmane. 

Cette tendance aniconique, c'est-à-dire sans icône, que l'on retrouve dans l'islam et le christianisme mais aussi dans le judaïsme, a en fait le même fondement doctrinal : Dieu est inimaginable et il n'est alors pas possible de le représenter.

L'interdit musulman des images est contemporain de la chasse que faisaient les empereurs byzantins aux images pieuses, concurrentes de leurs effigies marquant les monnaies. Il est donc possible de penser que les deux prohibitions dans les deux mondes se soient influencées mutuellement. Dans la société islamique, le pouvoir profane était divisé et le pouvoir religieux n'avait guère confiance dans les monarques. Il ne faut pas oublier que l'islam naissant s'est construit contre deux empereurs, ceux de Perse et ceux de Byzance. L'interdit des images a été global et visait les dieux, les humains et les animaux.

Mais cet interdit n'était pas directement lié au Coran et ne pouvait donc pas avoir de valeur absolue. Par exemple, le célèbre château Jordanien de Qasr Amra, dans l'Est du pays et construit entre 707 et 715 après J.C, contenait de nombreuses peintures avec des scènes de chasse et d'amour. De même, les palais et les hammams furent les réserves privilégiées des images défendues. Et les miniatures persanes ou ottomanes sont de véritables chefs d’œuvre.

La confusion entre image et idole s'est aggravée quand les musulmans arabes, turcs ou mongols envahirent l'Inde et détruisirent de milliers de temples hindous qui contenaient des statues de dieux avec leurs animaux et des peintures illustrant l'épopée de Râmâyana. Ce fut certainement l'une des plus grandes destructions monumentales de l'histoire de l'humanité avec l'anéantissement des temples tibétains par les gardes rouges de Mao Zedong, dans les années 1950 et 1960. Les populations n'étaient évidemment pas épargnées. À titre d'exemple, Tamerlan, lors de sa conquête de l'Inde, exécuta 100 000 hindous lors de la seule journée du 12 septembre 1398.

Nous pouvons également comparer l'islam au calvinisme qui, en interdisant le culte des saints, détruisit de nombreux vitraux, statues et tableaux des églises catholiques.

L'interdit des icônes n'est évidemment pas l'apanage des religions monothéistes. En Inde, le védisme par exemple, était polythéiste et aniconique. Nous n'avons pas retrouvé la moindre statue d'Indra ou de Varuna, respectivement roi des dieux et gardien des océans. Néanmoins, dans ce pays, la sculpture a peut-être été introduite par l'art gréco-bouddhique du Gandhara, antique région du Pakistan, représentant les Bouddhas sous les traits d'éphèbes ou de guerriers iraniens. Car le bouddhisme, polythéiste, est sans doute la religion la plus riche en idoles. En s'étant acharnés contre les Bouddhas afghans de Bamiyan, en 2001, les islamistes talibans s'en sont pris à un art qui pouvait s'interpréter dans un sens aussi bien athée que polythéiste, selon la nature humaine ou divine que l'on reconnaît au Bouddha.

Il n'y a donc pas d'explication unique à l'iconoclasme. L'islam a permis, non sans débat il est vrai, la photographie et le cinéma tout en restant méfiant sur la peinture et la sculpture. Cette différence peut sembler peu logique puisque chaque art a ses atouts et ses dangers pour la foi. Si l'image imagine, la photo restitue et se borne au réel sans toucher au mystère ou à l'invisible : il existe de nombreux tableaux d'Adam et Eve mais on n'a jamais vu de photo du paradis.

L'islam accepte les arts modernes lorsque la décence est préservée. Ce qui est impie est moins l'image que sa perversion, et les musulmans se trouvent aux côtés des chrétiens et des hindous pour dénoncer l'image impudique et promouvoir l'image édifiante.

Les éditeurs catholiques belges en ont fait autant en popularisant le genre littéraire de la bande dessinée. En pieux fidèle acquis aux vertus de l'image, le capitaine Haddock lance son fameux « iconoclastes ! ». Car cette bande dessinée s'est généralement montrée respectueuse des religions. Il n'en est pas de même pour les caricatures de Mahomet dans divers organes de presse européens. Mais si un dessin litigieux avait été remplacé par un texte tout aussi hostile, humiliant, ou vexant, il est possible de penser que la réaction n'aurait pas été différente. Ce qui est en cause est moins l'image que l'intention hostile. Et dans un climat de tensions religieuses, peu importe que nous soyons iconoclastes ou iconolâtre, l'essentiel est la montée de l'intolérance religieuse...ou antireligieuse.


LE VOILE, SYMBOLE DE SOUMISSION ?

Selon le Coran, il semblerait que les femmes musulmanes soient obligées de porter le voile. Est-il originellement un symbole de soumission ? Et quid de celles qui ne le portent pas ? Seraient-elles de mauvaises musulmanes ? Le voile n'est pas plus islamique que la soutane n'est catholique. Le Coran a simplement sacralisé une tenue vestimentaire qu'il a répandu dans le monde entier. Et l'habit ne faisant pas le moine, les sociétés chrétiennes orthodoxes en sont aussi porteuses. Et pour entrer dans une église russe orthodoxe, il est recommandé aux femmes de se couvrir la tête. Le voile existait déjà dans les sociétés pré-islamiques, tout comme la soutane du curé qui était le vêtement des magistrats romains. La calotte des évêques rappelle la kippa juive et les nouvelles religions sont bien obligées de puiser dans les garde-robes traditionnelles. Il faut donc se méfier des rapports entre vêtements et religions.

Le voile dit islamique est antérieur de plusieurs millénaires à l'époque de Mahomet. La première mention de son port obligatoire remonte aux lois assyriennes, attribuées au roi Téglat-Phalazar Ier qui vécut vers 1000 avant J.C. Ce port concernait les filles d'hommes libres, leurs épouses et leurs concubines, ainsi qu'aux hiérodules, ces prostituées sacrées. A l'inverse, le voile était interdit aux femmes esclaves ou aux prostituées non mariées. Il en était ainsi car les femmes voilées ne devaient pas être touchées alors que les femmes non voilées ne bénéficiaient d'aucune protection de leur corps. Qui ne respectait pas cette loi était sévèrement punie (coups de bâton, oreilles percées...).

De même, la Bible évoque le voile dans la Genèse tout comme dans le Cantique des cantiques. 

Comme les lois assyriennes, elle fait des femmes non voilées un symbole de prostitution.

Nous n'avons jamais entendu parler de voile juif ou de voile chrétien même si Saint Paul en exige le port pour les prières. Se couvrir la tête relève plus de la tradition que de la religion. Marie, la mère de Jésus, portait sûrement un voile, selon les us et coutumes de la société dans laquelle elle vivait. On n'a jamais dit de ce voile qu'il était islamique. Les vierges de l’Église primitive étaient également voilées, comme l'étaient les vestales romaines, ces chastes prêtresses de la divinité Vesta. Tertullien, écrivain berbère qui vécut 400 ans avant Mahomet, n'a-t-il pas écrit, dans son traité Du voile des vierges, qu' « une jeune fille sans voile n'est plus vierge » ? Tertullien était chrétien.

Les religieuses catholiques et orthodoxes, comme les diaconesses protestantes, ont perpétué cette tradition, imitées ensuite par les infirmières des hôpitaux.  

Danse des femmes de Ruvo, une fresque qui se trouve au Musée Archéologique de Naples, et datée entre le 8ème et 5ème siècle av. J.C.

Il y a peu de temps encore, au XXème siècle, les femmes portaient le voile dans les églises et elles portent encore une mantille, cette écharpe en soie ou en dentelle, lors d'une audience avec le pape. Il est vrai que cette pratique tombe doucement en désuétude, le droit canonique de 1983 ne faisant plus référence à l'obligation pour les femmes de se voiler dans les églises. Mais la tradition doit-elle perdurer ad vitam æternam ? Chacun est libre de son opinion. En France, peu de femmes portent encore ce voile, mais en Espagne ou au Portugal il est toujours utilisé.

Reste maintenant à savoir s'il faut continuer à imposer une coutume proche-orientale vieillis de plusieurs millénaires. C'est aux femmes d'en décider librement. On peut simplement noter que le voile islamique apparaît quand le voile catholique disparaît. Les jeunes filles voilées prennent la place des religieuses en cornette. La piété, comme la nature, a horreur du vide. Mais lorsque le voile est porté sous la contrainte, il est plus islamiste qu'islamique et relève plus de la soumission que de la religion.


LE CHRISTIANISME EST-IL EN DÉCLIN ?

À entendre certains discours, il y aurait de moins en moins de chrétiens et l'islam conquérant atteindra sous peu son but de « grand remplacement ». Cette idée n'est pas nouvelle. Avant la Seconde guerre mondiale, on disait de même au sujet des Arméniens et des Juifs, et Maurice Barrès avait aussi cette théorie au début des années 1900. Il est vrai que, pour la France, l'âge moyen des prêtres est assez élevé, ce qui pourrait sous-entendre que la relève n'est pas assurée. Les églises semblent vides, bien que les grandes fêtes religieuses tels Noël ou Pâques contredisent ce fait. Il est également vrai qu'au quotidien peu de gens vont à la messe catholique ou au culte protestant. Cela n'est pas valable uniquement en France mais également dans toute l'Europe. Et comme nous sommes euro-centrés, on en déduit un recul, voire un effondrement, planétaire du christianisme. Mais moins de monde dans notre paroisse ne signifie pas moins de chrétiens dans le monde.

Déjà au XVIIème siècle, Madame de Maintenon écrivait qu'« En Province, il n'y a plus de chrétiens » et que « La foi est éteinte ». Bossuet, quant à lui, écrivait « on compte Dieu pour rien » (Pensées détachées). Il s'agissait pourtant de la France de Louis XIV où presque tout le monde allait à la messe, bien que sans véritablement la suivre tant la dissipation était grande. La pratique religieuse des chrétiens de France ou d'Europe est devenue peut-être moins nombreuse mais plus sérieuse, ce qui permet de relativiser les comparaisons dans l'espace et dans le temps.

Il existe aussi une confusion entre pratiquants et baptisés. Les pratiquants diminuent effectivement plus vite que les baptisés. Il y a également un amalgame entre l'évolution religieuse d'un continent et celle des quatre autres. Car à l'échelle mondiale, l'augmentation du nombre de baptisés suit fidèlement l'augmentation de la croissance démographique. Actuellement, il y a un peu moins d'un baptisés pour trois humains (2,4 milliards sur 7,5 milliard d'individus), mais il s'agit de la même proportion qu'en 1900 (0,5 milliards pour 1,6 milliards).

Si les convertis, souvent de force, furent nombreux aux époques coloniales, les conversions ne jouent plus qu'un rôle secondaire depuis les décolonisations. Désormais, le nombre de baptisés dépend essentiellement du nombre d'enfants dans les familles chrétiennes. Les baptêmes d'adultes ne représentent que 2% du total des baptêmes catholiques et 5% des baptêmes chrétiens. Ils sont donc marginaux, exceptés chez les baptistes qui ne baptisent pas les enfants, rejoints par d'autres Églises protestantes. Ce lien démographique explique en grande partie l'hostilité de nombreux responsables religieux, dont le pape, au contrôle des naissances.

Le rapport numérique entre catholiques et protestants n'a guère varié au cours du XXème siècle. Il y a environ 1,3 milliards de catholique pour 800 millions de protestants. Mais ces derniers connaissent une véritable révolution intérieure avec le déclin des Églises historiques luthériennes, calvinistes et anglicanes. Elles sont concurrencées par les nouvelles églises évangéliques, souvent africaines, antillaises ou sud-américaines, novatrices par leur élan missionnaire et conservatrices par leur exégèse littérale. Ces nouvelles Églises sont en concurrence avec le catholicisme, notamment en Amérique latine et en Afrique.

La seule confession chrétienne à avoir souffert au XXème siècle est l'orthodoxie qui, dans l'Europe de l'Est et en Russie, a été persécutée par le marxisme athée. Un chrétien sur dix est aujourd'hui orthodoxe dans le monde contre un sur cinq en 1900. Et l'orthodoxie, implantée dans les pays sans empire colonial (Russie, Grèce), n'a pas pu essaimer sur les cinq continents, exceptés à travers des groupes d'expatriés.

L'évolution géographique du christianisme est assez impressionnante. En 1939, les quatre premiers pays catholiques du monde étaient tous européens : Allemagne, Italie, France et Espagne. De nos jours, ils sont américains (Brésil, Mexique, États-Unis) ou asiatique (Philippines). La France, toujours nommée fille aînée de l’Église, n'est plus qu'en 6ème position, derrière l'Italie.

Le deuxième pays protestant du monde est le Nigeria, le protestantisme étant d'ailleurs légèrement majoritaire chez les chrétiens d'Afrique. De même, la majorité des anglicans sont des Noirs-Africains ou Noirs-Américains alors que l'anglicanisme est né d'un problème strictement européen (le remariage du roi Henri VIII d'Angleterre refusé par le pape).

Ces nouveaux pays chrétiens témoignent d'une grande ferveur et la pratique hebdomadaire des cultes y est très élevée. Les églises sont souvent trop petites pour contenir toute la foule de chrétiens. Des haut-parleurs sont alors utilisés pour les personnes restées à l'extérieur. L'image des églises désertées est donc à relativiser et concerne surtout les pays de vieille chrétienté.

Il reste maintenant à savoir si l'enthousiasme chrétien perdurera. La hausse des niveaux de vie, le matérialisme, l'émergence des libertés publiques...pourraient développer l'esprit critique au détriment des spiritualités traditionnelles ou des Églises institutionnelles. La Pologne en est un exemple. Naguère pays rassemblé autour de ses prêtres défendant l'âme du peuple, elle découvre aujourd'hui les plaisirs d'une société permissive et néglige les devoirs d'une société chrétienne. Les chrétiens changeront peut-être, ils pratiqueront leur culte différemment, croiront différemment...mais tout comme la chrétienté d'aujourd'hui qui n'a plus rien à voir avec celle des premiers siècles.


A.P.

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