AOÛT - SEPTEMBRE 2020

De Gaulle avait (tout) compris

par Jean GOYCHMAN


Bien que le nombre d'ouvrages consacrés au Général de Gaulle soit d'une quantité impressionnante, l'actualité nous ramène souvent à lui, un demi-siècle après sa disparition. Bien sûr, il nous a laissé ses écrits, rédigés sous forme de mémoires, dans lesquelles il retrace, sous une plume à la fois précise et concise, les événements dont il fut le témoin, voire l'instigateur.

L'appel

De Gaulle prend une existence publique (aujourd'hui on dirait « médiatique ») avec son appel, devenu célèbre depuis, sous le nom d’« appel du 18 juin » Lancé depuis Londres sur les ondes émises par la BBC, il s'est probablement perdu dans le brouhaha de la débâcle de notre pays envahi par l'armée hitlérienne. Se doutait-il des suites qui lui seraient données ? Difficile à dire. Car il semble que très peu l'aient entendu. Mon propre père, qui l'a rejoint en juillet 1940 n'en a eu connaissance à Oran où son groupe aérien s'était replié, que trois semaines plus tard. Parmi les autres Compagnons que j'ai eu l'honneur et la chance de rencontrer, aucun d'entre eux ne l'avait entendu en direct.
Pourtant, cet appel témoignait en lui-même d'une rupture profonde avec son propre personnage :
Ne tenait-il pas à l'aumônier de la 4ème division blindée1, le père Bourgeois, les propos suivants ?

« On ne parle pas dans une salle d'opération ni dans un poste de pilotage d'un navire, monsieur l'Aumônier. Et ce que j'ai à dire, comme chef, pour engager les hommes et les chars de la division en pleine bataille réclame le silence et la réflexion.
La solitude, le silence, la réflexion, vous le savez mieux que moi, sans eux, que serait et que ferait la parole même de Dieu ?
Tous ceux qui ont fait quelque chose de valable et de durable ont été des solitaires et des silencieux. »

Car, entre-temps, l'impensable s'était produit. Le pays, tel un château de cartes, s'était écroulé. Alors que tout semblait perdu, une voix, celle de l'appel, s'était adressée aux Français. Ce côté visionnaire, que chacun s'accorde à reconnaître à de Gaulle, s'était exprimé en quelques phrases. Cette préscience lui faisait entrevoir la victoire en en décrivant les moyens. La force mécanique supérieure en nombre qui avait donné la victoire à l'ennemi, le vaincrait à son tour le moment venu. Il le savait. Ce n'était qu'une question de temps et de moyens. Et les moyens existaient, il en était persuadé, et ne demandaient qu'à être utilisés. La France avait, comme il le soulignait « un vaste empire ». Il fallait donc continuer la lutte, et il le fit. Notre silencieux, sorti de son silence, avait-il, par sa seule parole, inversé le cours des choses ?
Comme il l'a dit lui-même, quelques années plus tard, s'adressant à Georges Pompidou, « j'ai bluffé ! 3» Et cela donne à son appel toute la mesure de de Gaulle. Il était sans illusion sur la nature et l'importance réelle des forces qu'il pourrait mobiliser mais il savait qu'au-delà de cette réalité, plutôt consternante, ce qui importait, c'est que la France, le jour de la Victoire, soit dans le camp des vainqueurs et que son destin passait par là. De Gaulle a toujours agi plus sur le plan politique que sur le plan militaire. Il savait également qu'il ne pouvait compter que sur lui-même. Le destin de la nation se jouerait à la fin de la guerre, d'où l'importance que revêtaient certains symboles. Il convenait d'en baliser le parcours afin que, le jour venu, ces événements ponctuels donnent une continuité à l'ensemble de l'action. Il ne pouvait, compte-tenu des circonstances, agir autrement. La suite lui a donné raison.

Une lutte permanente pour le rang de la France


Billet de 100 francs émis par les États-Unis, sur le modèle du dollar US. Si la devise républicaine « Liberté, égalité, fraternité » figure bien sur ce billet, le mot « France » est substitué à « République française ».
Avant même que l'image du « connétable » ne se soit estompée, paraissait déjà celle du visionnaire de l'après-guerre. Qui pourrait regretter aujourd'hui cette anticipation ? Notre pays aurait pu devenir, et c'était l'intention de certains (y compris français), une simple région sous occupation américaine. Pour empêcher l’exécution du plan de l'AMGOT2, de Gaulle réussit à prendre les Alliés de vitesse en posant le pied sur le sol français pour montrer à nos concitoyens que lui et lui-seul incarnait la France. Roosevelt, qui n'avait aucune sympathie pour lui, fut bien obligé de l'admettre.
Là encore, on ne peut qu'admirer la performance, même si, opportunément, celle-ci s'est traduite par une certaine démagogie, notamment dans son discours de la Libération de Paris. Il n'en fera, du reste, jamais mystère. Dans les mois qui suivirent, de Gaulle montra son aptitude à gouverner le pays en tenant compte des réalités. Comme il disait : « Il n'y a pas de politique possible qui ne soit ancrée sur la réalité » C'est cette prise en compte permanente du réel qui lui permit d'avoir cette vision de l'évolution des choses, y compris après qu'il ait quitté le pouvoir le 20 janvier 1946. Ne pouvant plus gouverner le pays avec les institutions obsolètes de la IIIème république, il préféra se retirer plutôt que se disqualifier.

La traversée du désert

Cette « traversée du désert » lui permit cependant de conserver intacte l'estime que lui portait un grand nombre de Français et il savait qu'elle lui serait nécessaire pour établir à son retour les institutions que les parlementaires lui avaient refusé. Là encore, on peut noter la justesse de sa vision. D'autant plus que cela lui avait donné à plusieurs reprises l'occasion d'exprimer sa conception de l'avenir du pays. Ce fut la période des discours, souvent de commémoration, mais toujours empreints de cette foi en l'Avenir. Le discours de Bruneval est un modèle du genre. On peut en retenir ce passage quasi-prophétique :

« Le jour va venir où, rejetant les jeux stériles et réformant le cadre mal bâti où s’égare la nation et se disqualifie l’État, la masse immense des Français se rassemblera sur la France »

De là est probablement né le RPF. Bien que le terme « rassemblement » évoque plus une union de divers mouvements, le RPF4 avait un péché originel. C'était avant tout un parti politique, alors que de Gaulle voulait s'affranchir de tout parti, trouvant leur rôle très néfaste.
Cette démarche, qui peut surprendre, montre le pragmatisme de son action. Il voulait combattre les partis, car il pensait qu'ils étaient responsables des maux de notre pays, mais se résout à en créer un nouveau pour rassembler autour de lui et obtenir ainsi une sorte de « masse critique électorale » qui lui permettrait, le moment venu, de redonner la parole au peuple français.
La courte existence du RPF semble avoir renforcé la conviction de de Gaulle que le « régime des partis » associé à un régime parlementaire ne permettait pas de répondre à sa vision de l'efficacité d'un exécutif dans le contexte politico-économique de l'après-guerre.

Le retour aux affaires

Sous la pression des événements qui s'étaient succédés l'analyse de de Gaulle se révélait de plus en plus pertinente. L'impuissance de la IVème République à faire face aux enjeux des guerres d'Indochine, puis d'Algérie devenait criante. Cependant, son retour aux affaires fut provoqué par les événements d'Algérie.
Le 13 mai 1958, le général Massu proclama la création d'un « Comité de Salut Public » en raison de manifestations à Alger qui étaient consécutives à celles qui s'étaient déroulées à Paris après le détournement d'un avion transportant les chefs du FLN. Le gouvernement n'ayant pas une position claire, les manifestants d'Alger pensaient que la gauche risquait de prendre le pouvoir et donner l'indépendance à l'Algérie. Les militaires, qui aspiraient au retour de de Gaulle, persuadés qu'il défendrait l'Algérie Française, multiplièrent les appels en sa faveur. Ce fut le célèbre « vive de Gaulle » controversé du général Salan que Léon Delbecque lui souffla à l'oreille 5 devant la foule algéroise.
À l'époque, tous étaient persuadés que le retour de de Gaulle aux affaires était la garantie de maintenir l'Algérie française.
Pourtant, il est peu probable que, malgré les discours, de Gaulle soit dans ces dispositions. Pierre Clostermann, qui l'avait rencontré durant l'affaire de Suez, en 1956, m'avait rapporté cette parole :
« Vous verrez, Clostermann, avec des Français, des Anglais et des Israéliens, tout cela finira en pantalonnade ! ». Durant cet épisode, qui, faut-il le rappeler, mettait en action une coalition tripartite des Français, Anglais et Israéliens, chacun ayant une bonne raison pour agir militairement contre l’Égypte de Nasser, on vit que rien ne pouvait se faire, en matière militaire, sans le consentement des Américains. D'autant plus que, malgré la guerre froide, ces derniers semblaient être en phase avec les Soviétiques.
Dans son livre « Secrets d’État », Jean Raymond Tournoux, reçu en audience par de Gaulle, écrit que le Général s'y serait pris autrement avec les Américains. A la question de ses déplacements futurs, le Général lui répond :
« Oui, j'irai au Sahara. Les possibilités de ces territoires sont immenses. Mais vous verrez que le régime perdra aussi le Sahara. Il a perdu l'Indochine, la Tunisie, le Maroc, il perdra l'Algérie... »
A l'époque, de Gaulle n'était pas encore aux affaires. Son message pouvait passer pour ambigu. Il portait à croire que le gouvernement de la IVème république n'avait pas les moyens, ou le désir, de garder l'Algérie Française. On pouvait donc l’interpréter comme une sorte de critique à l'encontre de l’exécutif. Par effet d'opposition, on pouvait penser que lui, de Gaulle, agirait autrement s'il était en situation. Pierre Clostermann m'a dit qu'il pensait que c'est à la suite de l'affaire de Suez que de Gaulle avait pris sa décision de faire arriver l'Algérie « à maturité » mais de tenter de conserver à la France un droit sur le Sahara.
Revenu aux affaires, de Gaulle chercha avant tout à instituer une nouvelle donne afin de rendre l'action de l’exécutif plus efficace et mieux adaptée. Le problème algérien était, certes, important, mais n'occupait pas tout l'esprit de de Gaulle. Il voulait vraisemblablement négocier la solution de sortie en position de force. Pour cela, il fallait que les opérations militaires destinées à pacifier l'Algérie soient terminées, ce qui était presque le cas. La suite est connue.
Pour autant, l'action de Gaulle s'exerça dans plusieurs domaines.

Le programme de De Gaulle : le renouveau français

Même si l'opinion publique a gardée en mémoire pour la période 1958 – 1962 essentiellement l'Algérie, de nombreuses actions furent également engagées durant cet intervalle. Hormis l'adoption par référendum d'une nouvelle constitution, en faveur de laquelle se prononcèrent plus de 82% des électeurs, il y eut un spectaculaire redressement économique de notre pays, dont le PIB connut une croissance moyenne supérieure à 5,5 %. L'année 1960 connut même une augmentation de 8%. Il ne faut pas oublier qu'en 1957, une mission du FMI avait mis le franc sous tutelle, comme le rappelle Pierre Yves Rougeyron dans son livre « Enquête sur la loi du 03 janvier 1973 »
De Gaulle avait dès son arrivée au pouvoir, rappelé que :
« Un pays, c'est un État avec une armée, une monnaie » Le « nouveau franc5 », mis en circulation le 1er janvier n'est pas étranger à cette progression, remettant notre monnaie à la hauteur du mark et du franc suisse, tout en réalisant une dévaluation « compétitive » destinée à relancer nos exportations.
Au niveau des programmes d'investissement, le lancement de la force de dissuasion nucléaire qui allait nous mettre dans le club très fermé des « puissances atomiques » avec l'explosion de notre première bombe A en février 1960. Pierre Clostermann, à l'époque député et rapporteur du budget de la Défense Nationale m'a dit que les budgets avaient été absolument tenus. Ils englobaient les études et les réalisations des dispositifs d'emport tels que l'avion Mirage IV ainsi que les études des projets des sous-marins nucléaires et des premiers missiles moyenne portée.
Le 14 septembre 1966, le général de Gaulle, en tenue spéciale anti-radiations, assiste de la passerelle du croiseur «De Grasse» à l'explosion de la troisième bombe nucléaire française dans le Pacifique. Photo Gamma-Keystone

C'est durant cette période également que furent lancés les grands programmes d'aménagement du territoire. Les besoins étaient énormes, que ce soit en matière d'infrastructure, comme les aéroports ou les autoroutes, les établissements scolaires, les équipements sportifs ou les biens industriels.
Sur le plan des finances publiques, les budgets étaient à l'équilibre et les dettes du pays furent remboursées. C'était l’époque de la fameuse phrase : « l'intendance suivra !» Et l'intendance a suivi....

De Gaulle se tourne vers l'Europe

À la tête d'une nation sortie ainsi renforcée, De Gaulle s'engagea résolument dans la construction européenne avec tout son pragmatisme. Il avait accepté le principe du Marché Commun défini par le Traité de Rome de mars 1957, mais il avait compris depuis longtemps que les Américains (les anglo-saxons, comme il les appelait) entendaient diriger seuls cette construction. Représentés, entre autres, par Jean Monnet, dont il s'était toujours méfié, il connaissait leurs intentions profondes. Il connaissait l'existence du CFR7 et l'influence qu'il exerçait sur la politique étrangère américaine. Il savait également que le Groupe des Bilderberg était issu des rangs du CFR et probablement que Eisenhower et Kennedy étaient (ou avaient été) membres du CFR.

Quelques précisions utiles

Que le lecteur veuille bien me pardonner, mais il me paraît nécessaire, sur ce sujet très important, d'apporter quelques éléments complémentaires. L'attitude du général de Gaulle envers les « anglo-saxons », ne résultait pas d'une incompatibilité personnelle, comme on aurait pu le croire, mais d'une conception totalement différente des relations internationales. C'est de cette opposition frontale entre une conception « mondialiste » (comme on le dirait aujourd'hui) et une vision d'un monde dans lequel la souveraineté des nations serait un principe intangible.
Dans le livre de Daniel Estulin « La véritable histoire des Bilderbergers7», on trouve le passage suivant

« James Warburg, le fils de Paul Warburg, le fondateur du CFR et membre du « brain trust » de Roosevelt qui était constitué d'individus externes au gouvernement, parmi lesquels des professeurs d'université, des avocats et autres qui vinrent à Washington pour le conseiller sur les affaires économiques, témoigna sans ambages le 17 février 1950 devant la Commission Sénatoriale des Affaires Étrangères :
« Nous aurons un gouvernement mondial, que vous le vouliez ou non, que ce soit par la force ou le consentement »

Toute l'attitude de de Gaulle doit être analysée au travers de ce prisme. Féru d'histoire, il savait comment l'Angleterre s'était, au XIXème siècle, lancée à la conquête du monde. Il connaissait la filiation de l'entreprise de ces jeunes lords britanniques, tous issus d'Oxford, avec l'établissement du système bancaire américain qui avait permis le financement des deux guerres mondiales. Il savait que la création de l'ONU, (ce « machin », comme il l'avait qualifiée) répondait à la mise en place du « nouvel ordre mondial » et enfin il savait aussi que cet ordre mondial ne pouvait se construire qu'avec en préalable la disparition des souverainetés nationales.

Revenons-en aux affaires européennes

De Gaulle s'oppose frontalement à la conception d'une Europe intégrée qui serait de fait une communauté internationale et supranationale. Cependant, il était conscient que les nations européennes avaient une histoire commune et des racines communes, ce qui faisait qu'on ne pouvait pas mettre sur le même pied nos voisins européens et les autres nations de la planète. Cette proximité devait se matérialiser par le développement de projets communs dans lesquels plusieurs pays pouvaient s'impliquer sans pour autant renoncer à un quelconque attribut de leur souveraineté.
C'est sur cette base que plusieurs projets communs furent lancés. De Gaulle ne voulait pas de l'Angleterre dans le Marché Commun car il savait qu'elle voulait « le torpiller », mais n'hésita pas à lancer avec elle le programme de l'avion supersonique « Concorde », qu'aucun de deux pays n'aurait pu mener seul.
C'est dans cette même logique que de Gaulle proposa au Chancelier Konrad Adenauer le « Traité de l'Elysée 9» le 2 janvier 1963. La reddition sans condition de mai 1945 interdisant à l'Allemagne de se procurer les moyens militaires nécessaires à sa défense, elle ne pouvait compter que sur les moyens américains mis en place par le Traité de l'Atlantique Nord.
La suite est connue. A peine ce traité signé par Adenauer, Kennedy pique une grosse colère. Le ministre allemand Gherard Schroeder fait précéder, au moment de sa ratification par le parlement allemand, le texte du traité par un préambule qui le transforme en « coquille vide ». De Gaulle, officiellement, ne dit rien, mais n'est pas dupe et comprend qu'il ne faudra pas compter sur les Allemands pour faire avancer l'Europe dans le sens qu'il souhaite. Citons sur ce sujet Eric Roussel (p 359)10, sur le propos que de Gaulle tient à Peyrefitte :

« Les Américains essaient de vider notre traité de son contenu (..) Tout ça pour quoi ? Parce que les politiciens allemands ont peur de ne pas s’aplatir suffisamment devant les Anglo-Saxons. Ils se conduisent comme des cochons. Ils mériteraient que nous dénoncions le traité et que nous fassions un retournement d'alliance en nous entendant avec les Russes »

Le retour sur la scène internationale

L'affaire du traité montre à de Gaulle qu'il devra faire cavalier seul, les Allemands étant sous la coupe de la diplomatie américaine. Lorsqu’il parle des « Anglo-Saxons », il fait probablement référence à le qu'on appelle aujourd'hui « l’état profond » dans lequel on trouve à la base le CFR. Soucieux de ne pas enfermer la France dans ce système souterrain qui la mène vers le supranationalisme, il décide de mettre en application une diplomatie française indépendante. Ce sera d'abord un intérêt marqué pour la Russie, puis la reconnaissance de la Chine communiste en tant que nation souveraine en janvier 196411 et l'établissement de relations diplomatiques.
De Gaulle refusait le partage du monde en deux blocs antagonistes car il pensait que cela était fictif et ne pouvait que mener à terme à la disparition progressive des souverainetés nationales. Dans ce partage, chaque nation allait devoir opter pour son rattachement à l'un ou l'autre. Il tenait à montrer une autre voie et ce d'autant plus qu'il était persuadé que « tôt ou tard, la Russie boirait le communisme comme le buvard boit l'encre » Il lui semblait évident qu'alors, le monde se trouverait sous la coupe d'une seule entité.
La confirmation de cet état d'esprit se trouve dans les propos qu'il tient sur l'ONU.
Dans son livre « c'était de Gaulle12 » Alain Peyrefitte rapporte le dialogue suivant entre de Gaulle et Adenauer :

C A « Vous devriez aller à l'ONU, vous y auriez un grand succès »
dG «Non, n'y comptez-pas »
C A « Vous devriez, tout le monde vous applaudirait »
dG « On m'applaudirait parce qu'on dirait que de Gaulle se rend ! On applaudit toujours les gens qui se rendent. Ceux qui ne se rendent jamais sont mal vus »

De toute évidence, de Gaulle considérait que le rôle joué par l'ONU était néfaste. Convaincu qu'elle n'appliquerait pas sa propre charte, il ne voyait en elle qu'un instrument mondialiste. La genèse de l'ONU se trouve dans un éditorial du Baltimore News Post du 8 décembre 1941 (lendemain de Pearl Harbor) qui prédisait la venue d'une nouvelle ligue mondiale qui formulerait une déclaration fondamentale des Droits de l'Homme. « Pour protéger ces Droits, le système aura dans certains cas le pouvoir des prendre des mesures contre les individus et de les punir13 »
Cette atteinte à la souveraineté des nations devient évidente et de Gaulle ne pouvait l'ignorer. A l’issue de la Conférence de San Francisco, ce projet devenait une réalité.

Pourquoi de Gaulle s'opposait-il au projet mondialiste ?

De Gaulle s'était toujours méfié de Jean Monnet, qu'il désignait (entre autres) comme « l'inspirateur » Il faut rappeler qu'en 1926, Jean Monnet était le représentant de la Réserve fédérale et s'était opposé à la Banque de France 14. En juillet 1940, il est envoyé par Churchill au titre de la « mission britannique d'achat de fournitures américaines » Dans l'entourage de Roosevelt, il deviendra vite un conseiller écouté. C'est lui qui dressera Roosevelt contre de Gaulle en lui écrivant : « Il est un ennemi de la construction européenne dans l'ordre et dans la paix... Il devra être détruit »
Poursuivant cette idée, Monnet écrira en 1943 : «  Il n' y aura pas de paix en Europe si les États se reconstituent sur la base des souverainetés nationales » Cette phrase, que de Gaulle ne pouvait ignorer, décrit le cœur même du projet mondialiste, qui est la destruction des souverainetés nationales.
De Gaulle n'aura donc de cesse de combattre ce projet ainsi que ses promoteurs. C'est la raison pour laquelle il a toujours mis en avant le concept de la nation. Cela transparaît dans presque tous ses discours.
Dans « C'était de Gaulle », Alain Peyrefitte rapporte, dans son tome 1, le texte suivant, extrait du chapitre : « Les seules réalités internationales, ce sont les nations », à propos du nationalisme :

« AP : Certains éditorialistes ont regretté que vous ayez exalté le nationalisme allemand.
GdG : ça doit être des MRP, ou des socialistes. Ils ne voient pas les réalités, leur internationalisme les aveugle.
AP : Vous ne vous préoccupez pas vous-même que l'on vous taxe de nationalisme ?
GdG : Mais non, ce que nous faisons n'a rien à voir avec le nationalisme. Le sentiment national est commun à toutes les nations, à tous les pays. Il est aussi naturel que l'amour filial ou l'affection familiale.
Il est souhaitable qu'une nation veuille vivre, se défendre et se perpétuer. Un peuple n'est bien dans sa peau que s'il forme une nation indépendante. »

On ne peut que constater la totale opposition entre la vision de de Gaulle et la conception mondialiste, dans laquelle les souverainetés nationales devaient disparaître.

De Gaulle tente de repositionner l'Europe hors des deux blocs

Conscient que l'Europe était vassalisée par les Anglo-Saxons, avec des mouvements politiques internes menés par des partis communistes nationaux inféodés à l'Union Soviétique (les séparatistes au service d'une puissance étrangère, comme il le disait à propos des communistes français), il était nécessaire qu'elle s'affranchisse des uns et des autres. Persuadé que les Américains œuvraient pour une Europe « sans visage », vaste zone sans frontières qui serait dominée par les « multinationales » il décida de faire entendre une voix européenne, même s'il ne pouvait parler qu'au nom de la France. Après l'établissement de relations diplomatiques avec la Chine communiste, il multiplia les visites internationales, en profitant pour placer des discours souvent repris par la presse internationale.

Les grandes tournées internationales

La première visite est pour le Mexique en février 1964. Elle est suivie par la tournée des pays d'Amérique du Sud, du 21 septembre au 16 octobre 1964. Ce choix était particulièrement judicieux car tous les pays visités avaient acquis leur indépendance, la plupart du temps par les armes. Il y avait aussi une intention à peine déguisée de rappeler à leur grand voisin américain cette indépendance pour laquelle ils s'étaient battus. Commencée avec le discours de Mexico, la tournée s'achèvera par le Brésil.
Du 20 juin au 1er juillet 1966, de Gaulle effectue un voyage en URSS. Il avait retiré la France du commandement intégré de l'OTAN début mars.
Septembre 1966, de Gaulle va au Cambodge. Il y prononce le « discours de Phnom Penh », dans lequel il met en garde les États Unis des conséquences de leur ingérence dans les affaires d’États souverains.
Enfin, qui ne se souvient du « Vive le Québec libre » du 24 juillet 1967, réaffirmant ainsi à la foule rassemblée devant l’Hôtel de Ville de Montréal le soutien qu'il apportait à la souveraineté du Québec et donc, du Canada français.
Il se dégage de toutes ces prises de parole une volonté sans faille de combattre ce qu'on appellerait aujourd'hui la « mondialisation rampante » pour laquelle la disparition des souverainetés nationales était une sorte de prélude incontournable. De Gaulle qui, sans être historien au sens universitaire du terme, connaissait pourtant parfaitement l'histoire de l'Europe depuis 1815, avait compris quelle était l'intention sous-jacente.

Combattre l'hégémonie du dollar

Durant toute cette période, de Gaulle s'était également opposé à toutes les tentatives « d'intégration européennes ». Sa conférence de presse du 15 mai 196215, dans laquelle il évoque en termes à-peine voilés l'action d'un fédérateur qui ne serait pas européen, mais qui, « lui, aurait une politique» prouve, une fois de plus, qu'il avait compris dans quel piège on voulait faire tomber l'Europe. Il insiste même sur le caractère « beaucoup plus large » que pourrait avoir ce projet fédéraliste.
Mais il s’intéressait également de près au problème de la mondialisation de la monnaie. Il était parfaitement conscient que, parmi ce qu'on nomme « les attributs de la souveraineté », il y a le droit de « battre monnaie ». Cela signifie, pour un État souverain, de fixer par lui-même la valeur de sa monnaie et le taux du crédit.
Il avait fait échouer la tentative des Alliés, après le débarquement de Normandie, qui voulaient imposer une monnaie dérivée du dollar, et marqué au tampon du signe « AMGOT », comme indiqué au début de cet article. Cela signifiait Allied Military Government for Occupied Territories 16 et on ne peut être plus clair. Il s'agissait de faire circuler dans les pays libérés de l'occupant nazi une monnaie contrôlée par les grandes banques américaines. On ne peut douter que le CFR n'ait inspiré une telle idée. C'eût simplement été un « Euro avant l'heure ».
Conseillé par Maurice Allais et Jacques Rueff, de Gaulle avait également compris ce qui allait se jouer autour du dollar. Les accords de Bretton Woods de juillet 1944 avaient consacré le dollar comme monnaie internationale, tout en lui gardant son statut de monnaie domestique. C'était évidemment très pratique pour eux et de Gaulle avait noté dès 1965, au moment de la crise dite « du dollar », que les Américains pouvaient s'endetter gratuitement auprès des autres pays17. Il ne voyait que la solution d'un retour à l'étalon-or pour empêcher une crise internationale. Ceci était naturellement inacceptable pour la finance anglo-saxonne qui voyait dans le dollar un vecteur incomparable de la mondialisation. Le Standard Gold Exchange n'avait été conservé que dans le but d'imposer le dollar en tant que « monnaie de réserve internationale » au moment des accords de Bretton Woods. De Gaulle le savait et pensait que, tôt ou tard, cette convertibilité du dollar et de l'or serait abandonnée. C'est la raison pour laquelle il a pris les banques américaines au mot en rapatriant entre 1962 et 1966 plusieurs centaines de tonnes d'or 18échangées contre des dollars accumulés dans les coffres de la Banque de France.
C'est probablement la peur de voir que d'autres pays pourraient imiter la France qui a conduit la Réserve Fédérale, par la voix de Nixon, à déclarer la fin de la convertibilité or du dollar, mais c'était en 1971 et de Gaulle avait quitté cette terre.

Que retenir de ce combat contre le mondialisme ?

Que de Gaulle, une fois encore, était un précurseur. A peine eut-il disparu que les forces mondialistes qui n'avaient cessé d’œuvrer dans l'ombre, notamment lors du traité de 1963, reprirent leur travail idéologique en sapant tout ce qui pouvait, de près ou de loin, favoriser la souveraineté ou simplement l'indépendance des nations. C'est ce concept même de nation qu'il fallait à tout prix déconsidérer aux yeux des peuples européens, afin de leur imposer ce fédéralisme supranational que de Gaulle avait combattu. Ces forces mondialistes ont pris différentes formes, mais ce sont surtout les « Think tank », tel celui du « Club des Bilderberg » créé en 1954 ou encore la « Commission Trilatérale » née en 1973, qui propagèrent, via les médias, la bonne parole des bienfaits de la mondialisation heureuse.
Ces deux organismes trouvaient leur origine dans le CFR et nombre des participants, en particulier ceux qui siégeait au « steering comitee » appartenaient aux trois.
Aujourd'hui, la situation semble évoluer et de plus en plus de gens se réclament de de Gaulle.
Plus qu'un long discours qui contiendrait inévitablement quelques redites, je laisse à Pierre de Villemarest, au travers d'une vidéo très documentée19, le soin de fournir la conclusion.

J.G.

1. Voir de Gaulle J Lacouture Eds du Chêne p 83.
2. In « De Gaulle 1969 » d’Arnaud Teyssier. https://books.google.fr/books?id=vSuKDwAAQBAJ&pg=PT25&lpg=PT25&dq=de+gaulle+:+j%27ai+bluff%C3%A9&source=bl&ots=nJq1V_N-N7&sig=ACfU3U1d586qnCpUshif70e3YcDxI_DXeg&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjgv8_Sxd3pAhXy8OAKHQbhBn0Q6AEwBHoECAwQAQ#v=onepage&q=de%20gaulle%20%3A%20j'ai%20bluff%C3%A9&f=false
3. AMGOT : Allied Military Government of Occupied Territories, en français gouvernement militaire allié des territoires occupés.
4. Le Rassemblement du peuple français (RPF) est un parti politique fondé par Charles de Gaulle le 14 avril 1947 visant à mettre en œuvre son programme politique exposé dans le discours de Bayeux.
5. De Gaulle 1946 – 1970 Eric Roussel Éditions Perrin p 132.
6. https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000000356/le-nouveau-franc-succede-en-1960-au-franc-bonaparte.html
7. Comment le Conseil des relations étrangères détermine la diplomatie US - https://www.voltairenet.org/article14344.html
8. Daniel Estulin La véritable histoire des Bilderbergers Editions Nouvelle Terre page 112 (traduit en 42 langues).
9. https://www.france-allemagne.fr/Traite-de-l-Elysee-22-janvier-1963.html
10. « Charles de Gaulle : Tome 2, 1946-1970 », Eric Roussel – Editions Tempus
11. http://www.charles-de-gaulle.org/lhomme/dossiers-thematiques/place-de-france-monde-1944-1969/reconnaissance-de-la-republique-populaire-de-chine-janvier-1964/
12. C'était de Gaulle A Peyrefitte Editions de Fayard tome 2 p 239.
13. Daniel Estulin La véritable histoire des Bilderbergers page 113.
14. Enquête sur la loi du 03 janvier 1973 Pierre Yves Rougeyron Eds le jardin des livres.
15. https://www.youtube.com/watch?v=t_GUE8tUsDo (voir à partir de 5'30'').
16. https://blogs.mediapart.fr/danyves/blog/231214/histoire-secrete-amgot-ou-quand-les-americains-ont-tente-d-annexer-la-france
17. https://www.youtube.com/watch?v=OHZ76kxjlFo
18. https://www.gold.fr/informations-sur-l-or/newsletters/lor-strategie-de-de-gaule-pour-contrer-le-dollar
19. https://www.youtube.com/watch?v=HZm6GC3y1eg

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