JUILLET - AOÛT 2018

Au revoir là-haut de Pierre Lemaître

par Michel MOGNIAT


Au revoir là-haut est le titre du roman de Pierre Lemaitre édité en 2013. Il a paru chez Albin Michel et existe aujourd’hui en livre de poche. Il reçut le Prix Goncourt et fut porté à l’écran en 2017. Le titre est issu de la correspondance d’un soldat du front, condamné à mort, qui écrivit à sa femme la veille de son exécution :


« Je te donne rendez-vous au ciel où j’espère que Dieu nous réunira. Au revoir là-haut ma chère épouse. »


Cette phrase en exergue peut faire croire à un roman de guerre des plus tristes. Ceux qui ont eu le privilège de lire les échanges épistolaires entres les poilus et leurs familles en savent quelque chose. Les récits sur la guerre de 14/18 étant d’actualité, on se prépare donc à une lecture de témoignages romancés en se faisant un devoir d’accorder quelques heures aux souvenirs de nos poilus. 

Mais il ne s’agit pas de cela. Roman policier, roman historique ou fresque de la vie française de l’entre deux guerres ? On hésite. C’est en tous cas un roman picaresque, contant l’histoire de deux rescapés de la Grande Guerre, plutôt de trois rescapés ; deux troupiers et un officier, que décrit Pierre Lemaitre dans son récit Au revoir là-haut.

Les rôles et les fonctions sont tout de suite répartis, l’officier, le lieutenant Henri Pradelle, aristocrate ambitieux et désargenté est un salaud qui n’hésite pas à tirer sur ses propres hommes afin de gagner du galon. Édouard Péricourt est un artiste, un dessinateur issu de la très haute bourgeoisie. Il deviendra une « gueule cassée » en sauvant le soldat Albert Maillard, comptable de son état.

Maillard le prendra à sa charge et les deux soldats vivront ensemble dans la pauvreté, voire dans la misère, dans le Paris de l’après-guerre. L’officier, devenu capitaine, épousera un beau parti. Les destins de ces trois personnages vont s’entrecroiser des derniers combats dans les tranchées à la chute ou à la réussite de leurs arnaques. Car il y a une similitude dans ces trois destins étroitement liés : l’escroquerie. C’est là que se trouve le côté polar du roman. 

Pour le capitaine, devenu entrepreneur, l’escroquerie aura pour cadre le monde des affaires, des marchés, du rapatriement des cadavres de la grande guerre.

Elle est inspirée de faits réellement survenus. Pour les deux poilus, l’auteur imaginera une levée de fond sur une supercherie aux monuments aux morts qui fleurissent aujourd’hui dans toutes les communes. 

De l’arrêt de la bonne fortune du salopard à la fuite éperdue et réussie du malchanceux avec une valise pleine de billets, le lecteur est tenu en haleine par une écriture fluide et claire mais dont on peine à lui attribuer un style propre. 

Il est assez à la mode aujourd’hui, dans le roman, que l’auteur s’adresse au lecteur en cours de rédaction et lui explique sa façon de procéder et ses hésitations sur le comportement du héros. L’auteur lui fera-t-il faire le geste irréparable ou se contentera-t-il de poursuivre l’écriture sans que le destin du héros ne bascule ? Pierre Lemaitre nous évite ce type d’interrogation et de digression, mais il prend souvent le lecteur à témoin, comme s’il lui racontait personnellement une histoire :


« Seulement, il n’y a personne autour d’Édouard, ni vous ni moi, pour lui montrer le bon chemin et, dans son esprit, est remontée de loin cette idée que Maillard n’est peut-être pas vraiment mort. » p 55


Ce type de remarques au lecteur, sur le style de la conversation amicale sont assez bien dosées, elles perdurent jusqu’à la fin sans devenir envahissantes :


« Tenez, récemment, lors d’un conseil d’administration de la Française des Colonies, une de ses sociétés, son œil avait été attiré par une rai de lumière oblique qui traversait la pièce et illuminait le plateau de la table de conférence. » p 414


On peut parfois se demander si ce n’est pas tout simplement de la paresse à décrire une scène qui fait que l’auteur s’adresse au lecteur en le prenant à témoin :


« Albert voulut le sécher contre sa manche, le dossier tomba à terre, toutes les pages en désordre, les voici aussitôt à quatre pattes, vous imaginez la scène... » p 457


Certes, on peut l’imaginer, mais pour le lecteur en manque d’imagination une description de la confusion d’Albert aurait été bienvenue. On a parfois également l’impression que l’auteur nous demande notre avis pour un choix esthétique : 


« Pourquoi pas cent mille, une question de superstition penserez-vous, eh bien, pas du tout : une affaire d’élégance. » p 527


Cette prise à partie comme témoin perdure jusqu’à la fin du roman :


« Reste Joseph Merlin, auquel plus personne ne pensait. Y compris vous, certainement. » p 613


Ce qui pose quand même problème c’est la fréquence de ces interpellations au lecteur qui ne sont pas suffisamment nombreuses pour que s’établisse une véritable complicité avec l’auteur qui reste Lemaitre du devenir de ses héros. On s’étonne de ces interpellations, de ces apartés théâtraux qui surgissent au long des pages sans vraiment saisir le lecteur qui reste passif. C’est un clin d’œil raté. 

Il a été dit de cet ouvrage qu’il était un pont entre la littérature populaire et la littérature classique, une passerelle entre les divers styles dont l’auteur se réclame en rendant hommage aux auteurs qu’il aime et l’ont influencé, entre les classiques et les modernes.

Peu importe l’école, ce qui compte c’est que la lecture tienne le lecteur en haleine ou bien qu’elle le promène dans des lieux mystiques et merveilleux où le langage devient la source même du ravissement de l’esprit, c’est parfois le cas dans Au revoir là-haut, mais cela demeure assez rare :


« Son cerveau mélangeait la réalité et des dessins, des tableaux, comme si la vie n’était rien d’autre qu’une œuvre supplémentaire et multiforme dans son musée imaginaire. » p 62


Pour l’ensemble de l’ouvrage on reste plutôt dans le descriptif ordinaire où les envolées lyriques sont absentes. Nous sommes plus proches de la description du polar à la Simenon sans atteindre son apogée, que des descriptifs de La recherche du temps perdu. Polar donc ou roman picaresque et c’est tant mieux car le roman historique est certainement le plus difficile des exercices pour un auteur. La documentation si fouillée et scrupuleuse soit-elle, présente toujours une faille.

Albert, comme beaucoup de conscrits avait une fiancée qu’il ne revit plus la guerre terminée. Mais cette fiancée lui avait donné un numéro de téléphone où elle serait joignable. Ici la faille devient béante : 


« Depuis qu’elle le lui avait envoyé, ce numéro lui brûlait les doigts, il aurait voulu le composer tout de suite, parler à Cécile, lui dire comme il lui languissait de rentrer... » p 136 


Non, Albert en 1918 n’aurait pas pu composer le numéro. Composer un numéro suppose l’existence d’un cadran et ces derniers ne virent le jour en France qu’en 1924, c'est-à-dire six ans après la grande guerre :


« En 1922, un concours est lancé pour choisir un nouveau modèle unique ; ce sera le PTT24 en 1924 (c'est de là que vient son nom). Ce téléphone est prévu, à la base, pour les réseaux automatiques, mais il existe pour les réseaux privés grâce à sa batterie locale. Le PTT24 possède des caractéristiques électriques impressionnantes, du fait de sa robustesse de boitier en bakélite et de son microphone très sensible. Le PTT24 est le premier téléphone à cadran (source : Wikipédia) ».


Une pareille méprise fait douter du reste de la documentation de l’auteur. Documentation élargie qui va des prothèses de la mâchoire et du visage en passant par les greffes chirurgicales. Pourtant l’auteur n’est pas dupe, paradoxe criant, même sur les téléphones il est bien renseigné :


« Il passa dans son bureau, rebrancha le téléphone, demanda le numéro à l’opératrice et, à peine la conversation commencée, il hurla :... » p 516 


Cette scène avec le passage obligé par l’opératrice se déroule en 1920 dans un hôtel particulier du VIIIème arrondissement, grande maison bourgeoise où l’on ne doute pas que les dernières innovations technologiques étaient certainement plus présentes que les possibilités pour un comptable lambda de composer le numéro pour appeler sa fiancée en 1918 ! Le doute est émis, et le doute est pire que l’air de La calomnie illustrée par Rossini dans le Barbier de Séville, il grandit sans cesse dans la conscience où il s’est introduit :


« Même s’il convenait, en regardant les filles des magazines, que beaucoup d’entre-elles, justement, semblaient le mériter, ce risque. » p 333


Après la guerre de quarante fleurirent certainement quelques magazines ornés de photos de pinup, pour l’usage des militaires américains, mais après la guerre de quatorze, on se demande quelle était la diffusion de magazines et leur fréquence. Magazine n’est peut-être pas le terme le plus approprié. Certes, nous sommes là dans le détail et l’anecdote, mais nous sommes aussi dans un des prix les plus prestigieux concernant la littérature française. Et Au revoir là-haut, en plus du Goncourt, a reçu plus d’un prix littéraire ! 

Quelques erreurs de chronologie sont également présentes à l’intérieur du roman. À la page 445, on apprend qu’Édouard écoute Les trompettes d’Aïda sur le gramophone, alors que les deux rescapés des tranchées vivent misérablement. Par un triple salto arrière l’auteur retombe sur ses pattes à la page 451 stipulant que l’achat a été fait avec le résultat des premières arnaques.

Quelques scènes et déroulement de l’histoire paraissent assez souvent improbables et tirées par les cheveux, notamment la période finale où Édouard vit dans la suite d’un palace parisien en compagnie d’une fillette. Aucun membre du personnel du Lutetia ne l’a jamais vu sans masque, et cet homme déguisé qui distribue des pourboires hallucinants vit avec une fillette et se fixe à l’héroïne du matin au soir. Sa fin accidentelle comico-tragique est tout à fait improbable.


Mais ne sommes-nous pas là dans un roman ?

Roman largement lisible en tous cas et divertissant. Que demander de plus ?


M.M.

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