MAI - JUIN 2021

Poème : La prise de Berlin par les Soviétiques

par Valéry DVOÏNIKOV


Mon grand-père ne parlait jamais de la guerre...
Pourtant il était dans l'artillerie :
Tout de suite après son service militaire,
Il s'est retrouvé devant l'ennemi...
 
Cinq années de fidèles et loyaux services,
Trois légions, une blessure dans le dos...
Une simple erreur de tir de l'un des complices :
Il n'y avait à vrai dire pas de mots...
 
Il s'asseyait, allumait une cigarette :
Dix milles histoires à raconter...
Son regard était fixe et sa bouche enfin prête :
Mais il n'arrivait jamais à parler...
 
Pourtant les images défilaient dans son cœur,
Battant au son des villes explosées...
Pour des motifs aveugles et stupides,
Ces corps disloqués, ces destins brisés...
 
Il fallait résister, défendre sa Patrie,
Ses humbles parents, ses frères et sœurs.
Et puis, son pays et ses plaines infinies
Et son passé de peines et de pleurs...
 
Mais le feu crépitait sur cette autre planète,
Où ses cinq enfants jouaient à la guerre...
Papa les observait, ses lèvres muettes 
Serraient la clope, pensant à leur mère...
 
Combien de longues nuits et de jours éternels
Avait-elle passé à regarder 
Par cette fenêtre, tout en restant fidèle
À son amour dans ses douces pensées...
 
Attendre, espérer était sa seule matière 
De révision et de prédilection :
Sa cinquième année sans aucune nouvelle,
À part les rapports de la Division...

Qui avançait... Moscou, Smolensk, Varsovie,
Camps libérés, croix gammées arrachées
Aux mains des bourreaux par les coups d'artillerie :
Le feu d'artifice des libérés...
 
Puis, la prise de Berlin par les soviétiques...
Le dernier combat pour la liberté
De la terre entière du joug des fanatiques
Qui voulaient l'asservir, l'assermonter...
 
Un mois de souffrance, fait de tirs et de doutes...
Tirer sur la ville reste tirer...
Une ville impériale au carrefour des routes
Que l'armée russe a déjà visitée...

Par deux fois. D'après les paroles de Churchill,
Lors du premier conflit mondial :
La guerre de Sept ans où le nombre de pays
Était supérieur à vingt participants...

Un autre Empereur a subi les conséquences
De sa politique d'éducation
Des peuples attardés en manque d'éloquence
Que maîtrisait ce père des Nations...

Napoléon, un corsaire "Maître du Monde",
Le Roi de l'Europe sans la Russie.
Dont la gloire s'écoule telle une fonte,
Vers l'impossible horizon de l'oubli...
 
Puis vint le siècle des grandes dictatures,
Souhaitant remplacer les tyrannies
Qui dans le passé étaient sur devanture
De chaque nouvel accès de folie.
 
Mais peu importe les raisons des stratagèmes
Du nettoyage des populations.
Car à chaque fois, il s'agit de vies humaines,
Éparpillées sur l'autel des passions...
 
Le XXème siècle fut un très bon élève
Dans la matière de l'élimination.
Tout ceci relevait du domaine de rêve:
Deux conflits mondiaux en pleine expansion...
 
Du gaz moutarde à l'essai thérapeutique,
Alors qu'on la mangeait, auparavant...
La moutarde. Pas le gaz. Là est le hic:
On bouffait du gaz dès à présent...
 
Sa consistance devait être bien solide
Afin de détruire par l'intérieur
Toutes ces belles gueules jeunes et solides,
À la recherche d'un si bref bonheur...
 
Deux cents mille morts étalés dans cette ville,
Presqu'autant de civils que de soldats,
Noyés, explosés ou bien ensevelis
Sous les décombres et les amas
 
De pierres, du béton, de l'acier et du plomb,
Mélangés à la chair avec du sang...
Voilà le résultat d'une folie sans nom
Qui a duré pendant plus de cinq ans
 
Partout en Europe mais surtout en Russie,
Où chaque second n'était plus vivant...
La vengeance était rouge même si le Messie
Appelait au suicide tous les allemands...
 
Il fallait en finir. La race supérieure
Devait se soumettre aux vœux de son chef
Pour finir en beauté tant d'années de labeur :
Le règne sanglant de la haine est bref !

C'était la toute dernière page à écrire
De l'opus exécrable de son Mein Kampf
Dont le corps dégoûtant fut de partout rempli
Par le feu, le soufre voire le sang....
 
Pourtant au début, il n'y avait que des promesses :
L’Allemagne méritait un avenir radieux.
Personne n'a allumé les feux de détresse
Quand le Reichstag fut rasé par le feu.
 
Un complot communiste d'un simple gauchiste
À un néerlandais fut reprochée
Pour débuter la campagne nationaliste
La plus extrême de l'humanité.
 
Tout est parti à partir d'un coup d'allumette...
Les cendres depuis se sont propagées
Sur la terre entière, déchirée en miettes
Par la souffrance des peuples entiers...
 
Pourtant au début, il avait l'air d'un clown :
Une moustache écourtée, un nez pointu.
Des gestes virulents que l'infortune
Avait éloigné d'une carrière absolue.
 
À moins que cette même foutue l'infortune
L' ait quelque part elle-même voulu...
Cette leçon acerbe, froide, inopportune,
Celle en laquelle personne n'a cru...

Or, malheureusement, plus de mal que de peur :
La manne céleste décide autrement.
Et par ses mains descendit le Malheur,
Soutenu par un tas de tendres mains...
 
Vive notre Führer ! Le fascisme ou la Mort !
La foule en extase le proclamait.
La même qui après tant de maux et d'efforts
Était appelée à se suicider...
 
Car c'était la fin. Et la dernière fuite
Des "faisans d'or" sur les plaines brûlées
Était la preuve plutôt gag et insolite 
De l'agonie de ces bêtes blessées.
 
Pas un pas en arrière! Pourtant leur divise
Se faisait entendre aux sons des pas
De leurs propres corps, fuyant au plus vite
La capitale de leur frêle état.
 
Car pendant tout ce temps, l'armée rouge avançait
Et mon grand-père se tenait bien là,
En observant tout ce monde à l'envers
Dans ce chaudron d'obus noirs et du sang.
 
Une dernière virée avant la victoire
Tant attendue, tellement espérée
Dans cette fumée blanche, grise et noire
Dans laquelle la planète allait s'étouffer...
 
Le Reichstag brûlait d'une toute autre manière...
Le feu semblait calme et proportionné
Par rapport au mal qu'а subit la terre 
Envahie, ébranlée durant ces années.
 
Voilà le soldat décoré de deux montres
Qui sur le reste de la tour grimpait
Pour une photo qu'un autre Maître du monde
Lui auparavant avait demandé.
 
Un autre géorgien, le gourou de Caucase. 
Une autre moustache, grasse et posée
Au milieu du visage qu'un sourire rase
Et qu'un autre Empire allait supporter...
 
Et ensuite, diriez-vous ? Que nous dit l'histoire ?
Après tant de morts, de vies bousillées...
A-t-on compris le sens de nos déboires ?
Mais là encore, mon grand-père se taisait...
 
Valéry Dvoïnikov

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